<< Poésie d'un jour
Portrait par → G.AdC
La première fois que je lis Emily Dickinson, je suis sur une petite île
au milieu d’une grande mer.
Dans n pays très ancien.
Dans une langue que je ne comprends pas.
Les poèmes d’Emily Dickinson, c’est un peu pareil.
Mais qu’est-ce que c’est que ça
ces tirets partout
on n’y comprend rien
il manque la moitié des mots
je ne peux pas lire ça
il y a trop de majuscules
*
Emily Dickinson debout sans les lentisques
soutient le regard implacable de la Méditerranée
« J’ai trouvé – une Créature – à ma Hauteur »
pense-t-elle
et dans son visage de vieil Agamemnon
ses yeux se plissent pleins de gaité
Emily s’isole
Emily est une île
Pour arriver jusqu’à elle
il faut apprendre à ramer
elle est grosse comme un caillou
on ne comprend pas d’où elle sort
ce qu’elle fait là
Elle sort d’un volcan
Moi qui suis du continent
je rejoins l’île d’Emily
ça me muscle les bras
Je débarque en pleine nuit
Dans son obscurité je la parcours
sous ses étoiles je la tâte du pied
j’avance un peu à l’aveugle
la pente est ardue
mais les odeurs légères
Je me déplace entre sol et ciel
entre sens et silence
je me débrouille
Le caillou cachait une montagne
on arrive haut mais on dirait
jamais tout en haut
chaque somment en cache un autre
et soudain le soleil se lève
On y est
debout dans les nuages
petite fille
La mer paraît toute neuve
Murièle Camac, « Je lis des poèmes d’Emily Dickinson »
in Europe, revue littéraire mensuelle, Emily Dickinson, janvier-février 2024, pp.222, 223.
Murièle Camac est née en 1971. Elle a notamment publié
La mer devrait suffire (Éditions Henry, 2014),
Regarder vivre (N&B, 2016),
En direction de l’ouest (Le Citron Gare, 2019)
et Une femme c’est un Indien (Exopotamie, 2022)
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