19 janvier 1839 | Naissance de Paul Cézanne

Publié le 19 janvier 2024 par Angèle Paoli

Éphéméride Culturelle à rebours
Naissance de Paul Cézanne
Extraits choisis in Cézanne
Charles Juliet, P.O.L 2023.

Autoportrait à la palette :  Source 

Le 19 janvier 1839 naît à Aix-en-Provence le peintre Paul Cézanne.

Paul Cézanne est le fils d’un chapelier d’Aix-en-Provence, devenu banquier. Très vite le fils se heurte à son père qui veut lui voir suivre la vie de réussite sociale qui est la sienne et à laquelle il aspire pour ce fils rebelle. Mais Paul ne se résout ni à la banque ni aux études de droit. Ce qu’il veut c’est peindre. S’engage dès lors et très tôt, un combat contre son père, mais aussi contre lui-même. Car l’artiste est torturé par le doute, l’insatisfaction, la quête permanent de ce qui l’obsède sans qu’il parvienne à le définir. Le combat ne s’apaisera que tard dans la vie de Cézanne, après la mort de son père et l’ancrage de son œuvre dans le succès.

Charles Juliet, Cézanne, Extrait 1.

      « Il plante son chevalet devant le pin que ce jour-là il a choisi pour motif. Mais avant d’ébaucher sa toile, il observe longuement l’arbre et ce qui l’entoure. Ses yeux scrutent le tronc, l’écorce, les branches, la frondaison d’un vert bronze. Le regard se promène, s’arrête, interroge, fouille. Il voudrait pénétrer le sol, suivre les racines qui s’étendent dans l’obscur de la terre. Mais, constate- t-il, c’est terrible, mon œil se colle au tronc, à la motte. Je souffre à l’en arracher, tant quelque chose me retient. Parfois, l’effort qu’il fait pour absorber ce qui requiert son intérêt est tel qu’il croit que ses yeux vont se mettre à saigner.
           Face à ce pin, son regard note les formes, les volumes, les différents aspects, les lumières et les ombres, les plus fines nuances dans les couleurs. Tout ce qui est capté par l’œil imprègne la sensibilité, éveille des sensations. C’est après s’être identifié à ce tronc, à ces branches, à l’ocre de la terre, que Cézanne commence à peindre.
          Chaque toile exige plusieurs séances de travail, car chaque touche est précédée par de longues réflexions. Il faut réfléchir, affirme-t-il. L’œil ne suffit pas. L’œil et le cerveau, tous deux, doivent s’entraider.
       En peignant ce pin dont les branches et les frondaisons montrent qu’il a été violenté par le mistral, Cézanne donne à ressentir cette âpreté de la Provence dont il a parlé un jour… »
        Cézanne réalise l’essentiel de son œuvre dans le dernier tiers de son existence, et les toiles les plus importantes au cours de ses dernières années. Plus il avance en âge, et plus il se sent libre, assuré, audacieux. A force de travail, de connaissance de lui-même et de ses moyens d’expression, il œuvre avec plus d’aisance. Une spontanéité lui est venue et il n’a plus à méditer son geste. Celui-ci s’accomplit de lui -même, comme s’il n’avait plus à être pensé, comme si la main, d’instinct, trouvait sans hésitation ce qu’elle avait à exécuter. Le peintre d’expérience a tout naturellement accédé à ce que dans la Chine ancienne on appelait « l’art sans art ». Un art affranchi des règles – elles ont été intégrées puis transgressées -, affranchi des références, des intentions, de toute préméditation.
      Au cours des dix dernières années de sa vie, Cézanne est extrêmement productif. Il peint des Montagne Sainte-Victoire et aussi des Baigneurs et des Baigneuses, des toiles parfois de grand format et sur lesquelles il travaille pendant des mois.
      Les Montagne Sainte-Victoire ont une ampleur, une sérénité, un lyrisme auxquels il n’a encore jamais atteint. Dans ces toiles, le temps semble aboli, et en les contemplant l’impression nous vient qu’on touche à l’intemporel. Tous les éléments constituant la toile visent à établir un équilibre harmonieux, visant à créer cette paix que goûte l’être quand il glisse hors du temps et vit l’impérissable.
     Parallèlement, il traite un nouveau thème : celui des baigneurs et des baigneuses, des hommes et des femmes au corps nu, étendus ou debout, parfois adossés à des arbres. En abordant ces compositions, il se propose de relier les épaules des collines aux courbes des femmes, il cherche à mieux traduire combien la vie est une, combien lui, Cézanne, se sent intégré à la nature, à l’univers.

Extrait 2


     Hier matin, par une douce journée d’arrière-saison à la lumière atténuée, j’ai flâné sur la route du Tholonet. J’ai bien sûr retrouvé touts ce dont je me souvenais : la succession des petites côtes et descentes, les virages, les talus, les troncs d’arbres, la terre ocre foncé, cet endroit sous les pins où mes petites camarades et moi passions mélancoliquement nos dimanches après-midi, puis à un certain moment l’apparition, entre le vert des frondaisons, du gris pâle de la Sainte-Victoire se détachant sur le bleu du ciel. Instant de forte émotion. Forcément, je pensais à vous, et je crois bien que ce que je voyais, je le voyais à travers vos yeux. A l’instar d’un photographe, je cadrais, et tout se convertissait en un Cézanne. Je me suis souvenu de cette boutade d’Oscar Wilde que la nature finissait par imiter l’art.
      J’avais en tête l’image du Grand Pin, cette toile qui se trouve au musée de Săo Paulo. Une bande de terre ocre, le tumulte vert de petits arbustes fouaillés par le vent, et s’élevant au-dessus d’eux, un pin au tronc non pas banalement vertical, mais légèrement incurvé, se perdant en fouillis de branches noueuses, tordues, enchevêtrées, des branches dont on sent qu’elles ont eu à lutter contre la fureur du mistral et la fournaise des étés, des branches qu’on croit entendre grincer, car plus haut, la masse échevelée des aiguilles aux mouvantes couleurs est prise dans une rafale qui la secoue, la violente, la projette sur le côté. Une vision où s’exprime toute l’âpreté de la Provence. En chaque parcelle de cette toile, la vie est là, frémissante, vibrante, parcourant les troncs, animant le vert des feuilles, exacerbant la violence de ce vent fou contre lequel le pin est comme arc-bouté. En me remémorant cette toile , j’ai alors découvert cette évidence : vous représentiez ce dont votre œil s’emparait, mais l’essentiel consistait à rendre vivante cette pâte colorée que vous étendiez sur la toile. A la réflexion, il paraît étrange qu’en fonction de la main qui la pose, une touche de couleur puisse demeurer morte ou diffuser de la vie…

Charles Juliet, « Un chercheur d’absolu » et « Un grand vivant » in Cézanne, P.O.L 2023, pp. 14,1 5,16,24, 25,26 | 38,39,40.

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C H A R L E S    J U L I E T

Source
■ Charles Juliet
sur Terres de femmes ▼
Pour plus de lumière,Anthologie personnelle 1990-2012, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 554, 2020
→ En surface
→ ma hâte
→ [Rien ne s’annonce]
→ Rencontre inédite autour de Charles Juliet
→ 25 octobre 1964 | Première rencontre Charles Juliet-Bram Van Velde
→ 22 décembre 1989 | Charles Juliet, L'Autre Faim, Journal V
→ 3 septembre 1990 | Charles Juliet, L'Autre Faim, Journal V
→ 15 septembre 1990 | Charles Juliet, L'Autre Faim, Journal V
→ 10 octobre 1996 | Charles Juliet, Lumières d'automne, Journal VI
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur le site des éditions Gallimard) la fiche de l’éditeur sur Pour plus de lumière
→ (sur Dailymotion) Charles Juliet : L'exultation calme (vidéo)
→ Charles Juliet, attentivement (site dédié à l’œuvre de Charles Juliet)