Il est des jours fastes, où tout semble s'accorder, où le monde semble paré d'une véritable cohérence, où l'on use volontiers de cette métaphore astrologique des planètes alignées. Ainsi, de ce samedi 20 janvier où je rédige l'article sur Ubac. C'est comme si tous les événements grands ou petits qui ont fait cette journée résonnaient entre eux, s'imbriquaient pour faire sens.On sait que cela ne peut durer, et, de fait, ça ne dure pas, et quelque chose me dit que c'est bien, que c'est heureux cette fugacité parce que l'on n'est pas taillé pour vivre en permanence sous le régime d'une telle intensité. Il n'est que de voir l'extraordinaire créativité de Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise. En deux mois, le peintre se fend de 74 tableaux et de 33 dessins, dont quelques œuvres majeures : Le Docteur Paul Gachet, L’église d’Auvers-sur-Oise, ou encore Champ de blé aux corbeaux. Ce qui ne l'empêche pas de tenter de se suicider, et d'en mourir le 29 juillet 1890.
Racines d’arbres, la dernière toile peinte par Vincent Van Gogh, le dimanche 27 juillet 1890. © Van Gogh Museum Amsterdam
Le 20 janvier, j'ai donc exposé la triple épiphanie d'Ubac - exemple, après le motif de la prière, de ce que j'ai nommé la règle de trois. Le même jour, j'ai déjà montré qu'une autre triade avait surgi autour du chanteur Johnny Cash. Mais ce n'est pas fini. Dans l'après-midi, à 17 h 08 très précisément, je reçois un mail d'un ami, grand voyageur, qui a récemment découvert le blog. Il m'écrit ceci : "En lisant de tes textes au sujet d'auteurs... Surprise. Tu cites Burnside dont un récit se passe sur l'ile Kvaloya pres de Tromso et un autre auteur qui place son récit sur la longue ile des Vasteralen, Andoya. Dès le mois de mai je pars à Tromso d'ou je naviguerai en kayak d'abord par Kvaloya puis vers l'ouest sur la cote sauvage de la belle Senja pour joindre Andoya au sud...
Les coïncidences sont comme un mycélium, nous sommes tous en lien subtil avec des inconnus, les histoires circulent sur les fragiles chemins de particules mystérieuses. J'aime bien ces liens étranges..."
Le mycélium des coïncidences, l'image me touche.
L'article auquel il faisait référence ne pouvait être que Gift Songs of Underland, du 29 mai 2021, où je citais les deux auteurs britanniques Robert Macfarlane et John Burnside, que reliaient les deux îles norvégiennes de Kvaløya et Andøya. Quatre jours plus tard, j'enfonçais le clou avec Jeter un coup d'oeil au maelström. Où je finissais par ces mots :
"Ces trois livres, de Burnside, A.S. Byatt, et Macfarlane, forment comme une tresse, entrelaçant leurs motifs et leurs obsessions. Je ne cesse de sauter de l'un à l'autre, fasciné par le jeu de leurs résonances. Et l'ombre tutélaire d'Edgar Poe ajoute à cette fascination. Je sens qu'il me faut relire la nouvelle, et que peut-être d'autres échos profonds en jailliront."
C'était déjà, avec cette tresse, une règle de trois qui s'imposait à ce moment-là. L'article n'était pas terminé pour autant : j'y avais inclus une image, la photo d'un poème d'Alluvions (recueil de poésie, je le rappelle, toujours inédit), dont le premier vers, Gueule de roche, faisait écho à une phrase de Robert Macfarlane.
Photo Etienne Bailly
Je rappelle maintenant que Ubac s'achevait aussi sur un poème d'Alluvions. Dès lors, il ne manquait plus qu'une occurrence pour qu'une nouvelle triade impose son évidence. Elle me fut donnée une nouvelle fois par l'article de Philippe Lançon sur La Nuit morave de Peter Handke : "«Barque». Ce sont les alluvions qui portent le récit. Il dérive comme la péniche se déplace, jour après jour, entre les berges d'un pays abandonné." Ce même article qui m'avait propulsé vers la prière et vers Johnny Cash.
Il reste une dernière triade dont je dois rendre compte.
NB : Le titre Allu renvoie bien sûr à Alluvions. Deux syllabes, quatre lettres, comme Ubac, avec deux lettres en commun (comme pour Cash).