Lancelot se dit déçu, le 5 février 1955, de cette continuelle instabilité ministérielle. Le gouvernement de Pierre Mendès France aura tenu deux cent trente jours. Il faut attendre le 23 février pour qu'Edgar Faure soit investit. Nous sentons à présent qu'une crise est latente ; elle se nourrit de la ''question algérienne'' et de l'instabilité politique.
Déjà lors de cette Toussaint sanglante de 1954, une série d'attentats sont perpétrés sur le territoire de la République, en Algérie, par des fellagas et dit-on par des éléments étrangers tunisiens ou égyptiens ... Mauriac dira dans son ''Bloc-Notes'' " la guerre d'Algérie commence. ". Le peuple algérien en appelle à des réformes de structure.
Et pour la politique : " Nous avons vu de nos yeux les horreurs du fascisme et nous redoutons le carcan concentrationnaire; mais la démocratie telle que nous la pratiquons, à quoi bon se boucher les yeux? C'est la décomposition ininterrompue, c'est la mort lente " ( Mauriac, Bloc-Notes)
Pierre Mendès France a fait la paix en Indochine et en Tunisie en 1954, Edgar Faure a réussi à ramener le calme au Maroc en 1955. En 1956, réussirons-nous à ramener la paix républicaine française en Algérie ?
En décembre 1955, la crise politique qui couvait, produit la dissolution de l'Assemblée Nationale, deux jours après que le gouvernement Edgar Faure ait été renversé par un vote de l'assemblée .
Le conseil des ministres dissout l'assemblée nationale, contre l'avis du Président René Coty.
Lancelot assiste à de nombreuses fractures aussi bien dans le parti radical que dans le paysage politique français.
Quinze gouvernements vont se succéder de 1950 à 1958 ( dont six entre juin 1957 et juin 1958 !)
De plus, le ''régime des partis'' pousse le travail de l'administration à ses limites. Le manque de solidarité ministérielle, les fuites, sont exacerbés par l'emprise de la presse toujours à l'affût de nouvelles péripéties. Chacun se plaint du sens perdu de l'Etat, et de la difficile continuité du service.
Il reste également, en sourdine, le ressentiment d'une très légère épuration, à la fin de la guerre, parmi la haute administration ; de nombreux directeurs ont servi, jusqu'au bout, Vichy.
Par contre, depuis le statut de 1946, le fonctionnaire titulaire de son grade, ne dépend plus du pouvoir politique.
De nombreux jeunes administrateurs investissent les ministères et vont modifier les méthodes, et améliorer les conditions de travail. Les bureaux étaient surpeuplés, un seul appareil téléphonique pour trois ou quatre personnes, juché sur un bras mobile métallique qui tourne ; pas de ligne directe, cela oblige à passer d'un standard à un autre standard... Un pool dactylographique ne délivre une sténodactylo que pour une vingtaine de minutes, pour n'obtenir la note qu'une demi-journée plus tard...
La dissolution de l'Assemblée nationale a été très critiquée par les ''mendésistes'', qui représentent l'aile gauche du parti radical. Pour ces élections législatives du 2 janvier 56, ils vont s'allier avec la SFIO, des gaullistes (républicains sociaux) et l'UDSR ( Mitterrand) , et se regrouper pour former un Front Républicain, constitué à l'initiative de Pierre Mendès France. Ce ''Front'' s'oppose au centre droit d'Edgar Faure et d'Antoine Pinay, au PCF et au tout nouveau mouvement poujadiste.
Pierre Poujade, est libraire-papetier à Saint-Céré dans le Lot, il a créé en 53, un mouvement de défense des commerçants, qui rapidement après s'en être pris aux '' contrôles fiscaux'' reprend des thèmes comme l'antiparlementarisme, le nationalisme et l'Algérie aux français, et même l'antisémitisme, pour se présenter aux élections.
Edgar Faure est exclu du Parti radical le 1er décembre 1955 : " J'ai été en l'espace de 24 heures renversé, dissout et exclu ". Il se présente sous une nouvelle étiquette (RGR).
Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans son éditorial de l'Express du 30 décembre 1955 ( créé en 1953, il a accueilli François Mauriac et son 'Bloc-Notes', puis en 1955-56, Albert Camus ) appelle au retour de Mendès.
À Alger, les ultras de l'Algérie française se mobilisent violemment aux cris de " À bas Mendès ! "
Aux élections du 2 janvier 1956, les listes sous l'étiquette "Front républicain" obtiennent près de 28% des voix et 172 sur 594 sièges à l'Assemblée. La droite parlementaire regroupée obtient plus de 30% et 214 députés. Le Parti communiste, 26% et 150 élus. La surprise vient avec le mouvement de Poujade, et ses 13%, il conquiert 52 sièges. Parmi les députés poujadistes, Jean-Marie Le Pen, le plus jeune député de France.
On s'attend à ce que Mendès forme un nouveau gouvernement et prenne des initiatives sur la question algérienne. Le président René Coty, par excès de prudence et afin de continuer la construction européenne, choisit de confier la présidence du Conseil au dirigeant socialiste Guy Mollet.