Visite en Wokistan.

Publié le 02 février 2024 par Rolandbosquet

Il m’aura fallu trois quarts de siècle pour que l'on me reproche, par une invective singlante, l’horrible nocivité de la masculinité de mon genre et de la blanchitude de mon teint. Ne m’en sentant nullement responsable, je les avais jusqu’ici vécues dans l’indifférence la plus totale. Au départ, jamais personne en effet ne m’a laissé un quelconque choix. Tout comme pour les jours et mes lieux de naissance et ma naissance elle-même. Et je subodore que mes propres parents n’y ont guère songé non plus au moment fatidique. Comme tous les mammifères depuis des centaines de millions d’années, ils ont pris comme ça vient. C’est comme ça ! On n’y peut rien ! Dieu ou le Hasard y sont peut-être pour quelque chose mais en aucune façon ni eux ni moi ! Il n’en reste pas moins que l’autre jour et au sortir d’une "rencontre" avec un parterre d’étudiants en littérature contemporaine, une gamine* d’à peine 20 ans m’a reproché d’être un "indécrottable mâle blanc" !

Choisissant la prudence, j’évitai, en guise de réponse, d’évoquer mes ancêtres normands qui, en compagnie de Guillaume Le Conquérant, ont colonisé l’Angleterre puis, en compagnie de Tancrède de Hauteville, le sud de l’Italie et la Sicile. Elle et ses acolytes auraient ajouté à mes incorrigibles tares celle d’être, en plus, un abominable dominateur. N’avais-je pas en effet mentionné Marcel Proust à plusieurs reprises dont, croyant bien faire et dans l’objectif d’apporter un peu de légèreté à mon propos, plusieurs passages empreints d’un humour parfois féroce mais toujours subtil et raffiné. Lambert Wilson* lui-même en a réunis quelques-uns et constitué ainsi tout un spectacle de belle tenue. Certes, il est vrai que du haut de sa tour d’auteur incontournable, Marcel Proust domine largement la littérature du vingtième siècle. Mais nous autres, écrivaillons de base, devrions-nous pour autant, comme notre petite demoiselle, nous considérer comme des victimes ?

Outre les descriptions mi-figue mi-raisin des habitués du salon de Madame de Guermantes, notre amateur de madeleines aimait par ailleurs à citer ici ou là les compositeurs de son temps tels César Franck ou Gabriel Fauré. En un mot, une musique dite classique non seulement écrite par des blancs notoires, Bach, Beethoven, Mozart, Brahms ou Rachmaninoff par exemple, mais réservée de plus, par sa complexité même, à une élite intellectuelle inévitablement perchée dans les hautes sphères de la société. J’admets humblement que je goûte peu les chaînes de radio telles qu’Énergie ou autres Skyrock, qui n’ont guère pour seul mérite que de coller à la mode imposée par les industries musicales et leur préfère France-Musique comme les 1,40% d’auditeurs français. Comment dès lors prétendre qu’ils occupent, que nous occupons, une position dominante ?

Je laissai donc là la révolutionnaire de poche empoisonnée par les potions des charlatans du Wokistan qui prétendent défendre les discriminés de tous bords et poursuivis ma route vers Nantes. Le quatuor Modigliani et Schubert m’y attendent à la salle Cantabile et Anne Queffélec avec Beethoven à la salle Arpeggione. En toute modestie bien sûr, en dépit de leur immense talent ouvert à toutes et à tous jusqu’aux plus humbles amateurs, qu’elle que soit leur taille, leur âge ou leur couleur de peau.

Mais nos amis les agriculteurs ont déjà rendu difficile l’accès à la capitale poitevine. Bloqueront-ils celui de Nantes ?  

(* Il me faut préciser ici que l’apparence de la jeune demoiselle en question laisserait à penser qu’elle est plutôt issue de cette aimable bourgeoisie poitevine bien pourvue en héritages  sonnants et trébuchants. *Un humour de Proust, Lambert Wilson avec Jean-Philippe Collard et/ou Augustin Dumay.)