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Nicolas Pesquès | La face nord de Juliau dix-neuf

Publié le 20 février 2024 par Angèle Paoli

<<Poésie d'un jour 

BOB(1)

" Jaune est le nom  de cette modification 

Aquatinte de → G.AdC 

                        INTERLUDE


On aimerait une prose   qui épouserait notre promenade, un
réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait
les illusions    – le sachant ne le sachant pas – la découverte
d’un lieu,    la naissance d’un pas   composé, aimé, pouvant
sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action,
la perdrix figée,   le lièvre qui a peur,  la phrase irait comme
ça,    la lettre    que je vous écrirais    en même temps,   bien
qu’il soit    trop tôt pour nous,    puis trop tard,   la vie ayant
passé dans l’intervalle,  les temps toujours brisés malgré ces
accompagnements   et cette malice   que les corps  si douce-
ment montraient,   si souplement  la couleuvre glissant mais
trop tard aussi,   les yeux n’ayant pas eu le temps,  ce qui les
troublait, les trouble encore,  les nôtres pourtant rompus à la
fiction mais avides d’instants,  sûrs d’avoir rêvé, heureux de
n’avoir pas inventé   cet éclat pareil à de la littérature  quand
il n’en était pas question   entre nous,   et on remarque  alors
qu’un paradoxe commencerait à s’affaiblir,   la vigilance des
mots se mettrait à fondre,    on suivrait ce qui se passe  entre
nous, le cœur qui vague même  s’il ne vague qu’en souffrant
et que   c’est bien ici   que ça a lieu,   dans cette phrase main-
tenant, dans ce corps dont l’intrusion chancèle,   auriez-vous
senti cela, la tactilité du récit, le ruisseau engourdi,  le muret
sauté et   nous voici   à nouveau réunis    entre deux virgules,
épris du même temps,   étreints,    car il s’agirait vraiment du
même temps mais   c’est invraisemblable    de le sentir seule-
ment sans le vivre, sans l’avoir vécu, sans même l’avoir écrit,
ce grand chambardement   d’images peintes,   dites   ou nues
quelle différence ?    la prose   témoignerait     pour les corps,
l’image nue  serait la première,   celle des yeux  qu’on a dans
la tête   – le sachant,  ne le sachant pas –   venue de l’optique,
le corps en étant le tenant,   le physiologue averti,   sommé de
prendre la main pour choisir le ruisseau, le sentier et   c’est à
ce moment précis   que la prose explose,   laissant le texte en
miettes, la vie irrattrapable là,   de plein fouet, on se retourne
et presque rien n’est arrivé.

                      
                                     VI

Le genêt se répand,   trempe dans le jaune. L’image est pas-
sée et repartie. Dans le corps elle a changé de nature. Jaune
est le nom   de cette modification,   le pivot du désir quand
les yeux tournent,    se retournent,   écrivent   qu’ils le font,
se perdent  dans la phrase qui boîte,    vont dans le paysage
pour calmer la douleur,   dans l’image pour son silence.  Ils
reviennent chargés d’invitations, de déceptions, spécifique-
ment hachés   dans le corps   et prêts à tout.   Tête penchée,
joues en feu.


23 février

-Comment éviter le malheur de ne pas vivre dans le même
monde, si les images ne se superposent pas, si les paysages
s’additionnent sans résultat ?

Les aperçus, les bribes, les éclaboussures : ce serait la défi-
nition du désir. Des pans de genêts à l’intérieur d’un flux
silencieux…

-Ce serait le bonheur ?

-Ce serait l’heure riche de la distance et de la divagation.


« Car pour tout poète

avant le lecteur il y a l’amoureux

et avant l’amoureux le lecteur »*

*Cécile Mainardi, Idéogrammes acryliques, Flammarion 2019.

Pesquès 19

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau dix-neuf, Poésie Flammarion 2024, pp. 47, 48, 49

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N I C O L A S    P E S Q U È S

Pesquès portrait

Ph. © Jean-Marc de Samie
■ Nicolas Pesquès
sur Terres de femmes ▼
→ Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
→ après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
→ après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
→ Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
→ 21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
→ Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
→ 15 mai 1886 | Mort d'Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
→ [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
→ Intérieur nuit (Juliau 11)
→ La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)

→ La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
→ 28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
→ La caisse claire (journal d’AP)

La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2020


■ Voir aussi ▼
→ le site de Nicolas Pesquès
(sur PoezibaoLa Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d'Angèle Paoli)
→ (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Nicolas Pesquès


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