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Blandine Merle | Naître et mourir

Publié le 01 mars 2024 par Angèle Paoli

<< Poésie d'un jour

DE LA TOUR

 La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour (Détail) 

Il y a quelque part ce tableau
ou plutôt cette scène : d’une jeune femme
chaudement vêtue, assise près du feu
en train de tricoter une layette
et de dessiner ses pensées à sa mère
(ou sa grand-mère)
dont elle tient l’art du maillage,
dans un fauteuil qui peut-être
était à bascule – d’où venait sinon
le mouvement d’ensemble de la scène,
identique à celui d’un balancier ?


Révolution copernicienne

La brodeuse n’a peur elle
que l’existence de son front penché
dans la lumière du soir ( non plus

une chandelle,
comme dans les tableaux de Georges de La Tour,
mais une lampe de chevet, aussi imparfaite à éclairer
l’ensemble de l’ouvrage
que le Soleil l’ensemble de la Terre)

portant momentanément l’attention de celle
qui peut mieux travailler ôte parfois ses lunettes
et se colle presque à la toile
sur tel pétale ou telle tige,
et le détail exige
une si totale exclusivité qu’il fait entrer dans la nuit
le reste du champ de coquelicots ( dont le tour viendra
d’être porté au jour).

Silence, elle tourne.


Songe bleu
où le corps circule aisément
comme affranchi de la pesanteur ;

contre un arbre, une femme d’âge mur
tient dans ses bras une fillette

(gros plan sur les cheveux de l’enfant
que la femme lentement peigne
comme si elle démêlait un nœud situé ailleurs

-dans la gorge,
ou dans une lointaine branche généalogique).

Quelque chose au réveil a bougé.

C’est dans l’armoire,
entre les piles de linge plié au carré,
une façon plus légère
de choisir les vêtements du jour.

Naître et mourir

Blandine Merle, « Brodeuses » in Naître et mourir, poèmes, Gallimard 2024,pp. 40, 42, 46.

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Blandine Merle Ph 2

■ Blandine Merle
sur Terres de femmes ▼
→ Par obole (lecture d’
Isabelle Raviolo)

→ [Sanguines : à présent, huitième cercle] (extrait de Par obole)
■ Voir aussi ▼
→ le site de Blandine Merle
→ (sur Recours au Poèmecinq poèmes choisis de Blandine Merle


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