Sur une affiche placardée à la Bibliothèque universitaire: «Pour un quart d’heure de méditation - Espace Dieu, salle X.»
Le travail est le seul acte, avec l’enfantement, qui ajoute un contenu à l’extase.
Bernanos: «L’homme de ce temps à la coeur dur et la tripe sensible. Comme après le déluge, la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous».
Je me suis réveillé avec un sentiment de frustration, à quatre heures du matin, après un rêve qui m’a fait rencontrer deux très beaux personnages imaginaires, le superbe Nicolas Fargo et son compère Haudincourt (noms trouvés par le rêve) tous deux vivant dans un univers d’amitié et de beauté où je me suis aussitôt trouvé chez moi. Avec Fargo, nous avons parlé de l’exposition que nous projetions de monter au Palais de La Malmeneur, consistant en une collection d’objets, dont un bel éléphant de cuir. Avec Haudincourt, c’est dans un univers parallèle que j’ai transité ensuite. Le cérémonieux notable, pensionné du royaume au titre de Marbatta (il ignorait la signification précise de sa fonction) m’a présenté ses tableaux et ses jouets animés en insistant sur la nécessité de divertir gratuitement les enfants au jour le jour, selon son expression.
Sur quoi je me suis retrouvé les yeux ouverts dans un ruissellement de pluie de montagne en songeant à la jalousie que doit éprouver l’huître qui voit danser et parader les poissons des grands fonds, d’autant plus envieuse qu’elle ne voit rien du tout.
Léon Bloy: «Tout homme est, en naissant, assorti d’un monstre».
On peut se perdre à tout moment. Cela se passe on ne sait comment. Parfois même certains jours, on meurt, physiquement ou psychiquement. Aujourd’hui j’ai perdu pas mal de temps, mais la vision d’une vieille femme, à un arrêt de bus, m’a sauvé.
Très bel orage ce soir, avec, d’un côté, le décor gris sabre et noir bleuté des montagnes et du lac strié de lignes métallisées, et, de l’autre, le front jaunâtre tombant d’un dais noir profond, traversé de formidables éclairs étrangement silencieux, tandis qu’un tiède vent d’Afrique agitait les feuilles d’étain des bouleaux sous nos fenêtres. Après quoi, comme après l’amour, dans le désordre des draps, il commença de pleuvoir des trombes tandis que la grêle hachait rudement la salade.
Sénèque: «C’est toujours avec du vrai que le mensonge attaque la vérité.»
L’enfer est ce lieu où l’on ne sourit pas en regardant par la fenêtre.
Les vicieux nous détournent du vice (de l’imbécillité du vice) autant que les vertueux de la vertu.
La femme-enfant que j'ai rencontrée dans le train, qui m'a suivi et avec laquelle j'ai dormi tout habillé, en automne 1970.
Les poissons Flaubert et Balzac que je tenais par la queue dans un rêve récent.
La fraîcheur du premier corps étreint, et la fraîcheur des draps.
Mon premier amour impossible (à dix ans).
Songer, dans nos rapports avec les autres, à ce que ceux-ci n’ont peut-être pas. Point d’énergie en réserve. Point d’enfants. Point de distance. Point de repères sociaux. Point de représentation d’eux-mêmes. Point d’appétit ou point de courage. Point de fantaisie ou point de suite dans les idées. Ainsi de suite.
Smooth Sunday, snowy and bright. But feeling of illness. Maybe, some days, we are dying or having lost our soul. But what does it mean ? Perhaps this: lack of love.
Ravissante image que celle de la petite fille (5 ans) assise en robe longue devant la maison et corrigeant, l’air pénétré, l’écrit secret sur lequel elle travaille depuis plusieurs jours.
Comment les gens vivent-ils ? Comment font-ils pour supporter la vie, mais comment font-ils donc ?
Réveillé ce matin tôt l’aube, dans un rêve mallarméen et de juvénile amour. Une voix disait: «Tout de suite on a vu que c’était vous le fiancé». Sur quoi me sont venus ces deux vers:
Ma verte, ma vive, ma vulnérable
Mon âme vocable, que ma vie délie
Et sans peine aucune ensuite j’ai bondi de mon lit, et café, et vite aux mots!
Ces gens qui vous aiment pour la vie parce qu’un jour vous avez dit un peu de bien d’eux.
Bataille: «Le vent de la vérité a répondu comme une gifle à la joue tendue de la piété». Bataille encore: «Orestie / rosée du ciel /cornemuse de la vie».
Cette espèce de silence distrait qui accueille une vérité dite.
Francis Bacon: «Plus vous travaillez, plus s’approfondit le mystère de ce qu’est l’apparence».
Galien: «La nature est un feu artiste marchant sur une route vers la genèse, et tirant de lui-même l’énergie de son mouvement».
Commentaire du pape Innocent à Velasquez, devant son portrait: «Trop vrai».
La vie s’est déposée et les mots la revivifient. On croit avoir tout oublié, mais il n’en est rien. Ou plus exactement: on n’oublie rien de ce qui nous a réellement marqué - de ce qui nous a rendu plus réel.
La table cosmopolite de la Pension Pianigiani, à Sienne, juste à côté de l’Académie de musique, dans les années 70.
Le vieux philosophe des Escaliers du Marché, en vieille ville de Lausanne, ramenant chaque midi, de l’épicerie, sa boîte de raviolis ou de lentilles.
Le sourire d’enfant de l’enfant, comme éclairé de l’intérieur.
Le décor de théâtre des murs de Sienne, la nuit, et le pas solitaire qui en peuple l’espace.
La pièce policière du lundi soir écoutée en famille, mais chacun sur son poste (le poste à galène de mon frère aîné), il y a à peu près quarante ans de ça.
Les tables aux têtes de porc alignées sous la falaise éclairée par une vierge de néon, cette année-là, à Sorrente.
La silhouette de mon père quittant la maison dans la nuit jaune des matins de neige, à l’époque des anciens réverbères aux poteaux de bois.
L’odeur des escargots dans les haies de l’asile des aveugles, juste après la pluie.
Le ruisseau Danube dans les prairies de Souabe, adolescent comme nous en 1961, l’été de la mort d’Hemingway et de Céline.
Le couple classique de la mère très belle, et de son fils très beau, dans le train pour l’Italie.
Penser à ce que sont les gens en réalité. Penser à ce qu’ils ont reçu et ce qu’ils ont voulu recevoir. Penser à ce qu’ils ont appris et au moment où ils ont cessé d’apprendre. Penser à ce qu’ils ont risqué. Pensé à ce qu’ils ont osé. Penser à ce qu’ils ont pensé.
Le bonheur de l’écriture nous est donné quand on écrit malgré soi, et tellement mieux que soi.
Le raisin que nous allions grappiller dans les vignes surplombant le lac Majeur, la nuit au clair de lune, avec les hautes maisons de pierre de Scajano qui se détachaient sur le ciel, cet été de notre enfance.
Le premier corps étreint (toute la nuit).
Le bleu vitreux des glaciers de Grindelwald, et la face nord de l’Eiger que nous observions à la jumelle, dans laquelle se déroulait un drame, tel autre été de notre enfance.
Le besoin de se perdre (dans la foule, dans la forêt, dans les caresses, dans le vin).
Ceux qui restent froids (révélation de quelque chose, naissance de la prudence).
Ma mère marchant dans la rue et moi séchant un cours à une terrasse: la fourmi, la cigale.
Un interminable camion rouge, sur l’autoroute de Francfort, me dépassant avec cette inscription sur son flanc droit: chips, chips, chips, hourrah!
Le règne du plan, de l’horaire et de l’organigramme, tient lieu de nouvelle structure psychique à pas mal de gens. Mais là-dessous, quel chaos.
Une folie comme la mienne se vit en douce, je ne veux pas dire sous le manteau mais plutôt sous cape, comme on rit.
On ne devient réellement sérieux, aujourd’hui en littérature, qu’en risquant l’affrontement. Ou alors on fait des phrases. La plupart ne font que des phrases.
Passer du miroir à la fenêtre.
La pensée transforme.
L’heureuse discipline que de penser qu’on n’est rien, et d’agir comme si de rien n’était.
L’aspiration à tout maîtriser donne le style, mais cela part d’une nuit, cela part d’un corps et d’un chaos. Tout n’est pas ordonné par la grammaire mais le corps traverse le chaos de la grammaire comme un rideau de pluie et de l’autre côté sont les chemins.
L'esprit classe moyenne a tout acclimaté et tout aplati. La Suisse en représente l'accomplissement. Le nain de jardin en est l’emblème.