Hélène Lanscotte / Ma femme, cette animale / L'espérance

Publié le 05 mars 2024 par Angèle Paoli

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Photo-collage  → G.AdC   source photos: Google 


L’ESPÉRANCE 

Ma femme espère les êtres dans les êtres, les êtres dans les choses, et parfois les choses dans les êtres.
Elle dit qu’elle voit le ciel dans l’oiseau, l’arc- en- ciel dans le renard, qu’elle entend la plainte dans l’arbre et le rire dans l’herbe.
Nous marchons côte à côte sur le sentier du bois.
Je songe à la souris dans la chauve-souris, au moineau dans le chat, à la grenouille dans le bœuf, à la parole dans le singe.
Mais ce n’est pas du nom dans le nom, ni du mangé dans le mangeant, ou du petit dans le grand, que ma femme espère.
Je lui parle des ancestralités gigognes, le lézard dans le geai, la musaraigne dans le marcassin, le poisson dans le serpent.
Elle répète qu’elle voit le ciel dans l’oiseau, l’arc-en-ciel dans le renard, qu’elle entend la plainte dans l’arbre et le rire dans l’herbe et que cela l’emplît car elle- même ne sait pas très bien ce qu’il y a en elle. 
Je pense à toutes nos vies dans notre vie, à tous les morts dans les vivants et aux vivants dans le vivant. Je pense à ma femme dans ma vie. 
Nous contournons le vaste champ, l’air est de plus en plus doux. 
Dans ses cheveux, je discerne un vent d’inquiétude et sur ses mains, des années de lumière et de nuit; à sa cheville, la course d’un lièvre et sur sa joue, une plaie de fourrure.
Le silence nous rejoint. Sa marche me devance un peu. Alors je crois distinguer, au lieu de l’écharpe de laine verte et grise qui s’enroule autour de son cou, un long et large serpent recouvert, non d’écailles, mais de plumes aux mêmes teintes vertes et grises. Le mot boa me vient à l’esprit. Il correspond à la taille de l’animal mais non aux plumes légères et frivoles qui lui sont ordinairement associées ; ces dernières s’agencent parfaitement, comme chez n’importe quel oiseau. 
Quelques pas plus loin, je vois le reptile se desserrer lentement puis se réinstaller plus confortablement sur les épaules de ma femme. 
Sans se retourner, elle me tend la main pour que je me rapproche d’elle et nous poursuivons notre promenade tous les trois. 

Hélène Lanscotte, Ma femme, cette animale, CHEYNE Éditeur , Collection Grands Fonds, La voix est libre, 2024, pp.9, 10.

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