<<Poésie d'un jour
TANGRAM
2
Je suis étranger à moi-même. Toi, tu vis chaque
instant du moindre de tes atomes. Pour cela, je
t’en veux terriblement. Et pour cela je t’aime
encore plus terriblement.
Te rencontrer, je l’ai presque autant craint que
souhaité : avant d’être beauté tu es lumière,
vérité profonde, irradiante. Rien ne pouvait m’y
préparer.
Tu dois sauver ce qui peut l’être en moi. Soigner
l’aveugle et sourd, l’absent, le fait d’ombre… Je
t’en supplie.
Mais tu vas contre mon unicité. Ma solitude est
toujours plus sédimentaire, alors qu’il faudrait
la saisir comme un fruit, l’ouvrir, en extraire le
noyau.
Je n’ai pas gémi, hurlé, mordu depuis longtemps.
Maudit. Je n’ai pas maudit depuis longtemps.
Me prend encore, de loin en loin, l’envie de
t’ingérer. Pour m’approprier ta fraîcheur et ta
sagacité, l’ondoiement continu de ton intelligence.
Je veux tout. Que tu m’apaises et que tu me
ravages. Être ta victime et ton bourreau. Je veux
un horizon païen directement issu de ta carnation.
Jérôme Nalet, « Tangram II », in Tangram, Cheyne Éditeur, Collection Grands Fonds, La voix est libre, 2024, pp. 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48.
♦ Biographie de Jérôme Nalet :
Né en 1977. Il vit actuellement en région parisienne. Antérieurement, il a publié un recueil dans la collection Polder de la revue Décharge (Te léguant mon oeil mort, en 2020), ainsi que quelques poèmes en revues (outre Décharge, le fanzine Traction-Brabant)..
♦ Note de l'Éditeur :
Tangram est à la fois un jeu composé de sept pièces de bois de différentes formes et le titre du premier livre de Jérôme Nalet publié chez Cheyne composé de quatre textes. Pour l’un comme pour l’autre, tous les agencements sont possibles, toutes les imaginations.
Qui sont les figures évoquées dans ce livre ? Qui est ce père ? Ce fils ? Cet impérial Costa, mystérieux et comminatoire ? Qui sont Pic et Ploc, ces enfants malfaisants, dangereux et sournois dont les présences évoquent peut-être le fascisme ? Chacune, chacun aura ses réponses à ces questions posées dans une écriture incisive, précise et souvent pleine d’humour, qui n’est pas sans rappeler certains récits de Kafka. Le livre se clôt sur des monologues du personnage de la Barbe-Bleue, tout droit sorti du conte. Et c’est tout simplement la littérature qui se réinvente sous nos yeux, dans une langue nouvelle, inédite. Un premier livre remarquable.