Par un beau lundi du chaud mois de mars goanais, j’ai accompagné mon fils à la piscine de notre résidence, un petit « complex » de vingt-quatre appartements, un tiers étant inoccupé. Nous avons repéré un vieux monsieur assis sur un banc, à une extrémité du bassin. Il était en short, baskets et chaussettes mi-mollet. Il était anormalement grand, à moitié chauve et deux yeux noirs perçants. Je lui ai adressé un sourire poli auquel il n’a pas répondu, et je m’en suis désintéressée.
Lorsque Petit Samourai et moi sommes sortis de l’eau, il s’est pourtant approché de nous. Il m’a tendu la main, se présentant comment Mahesh, notre nouveau voisin, astrologue et chiromancien. Immédiatement, il m’a demandé ma date de naissance, celle de mon fils, de mon mari, et nous a sorti des traits de caractère et des réactions très exactes. Mais qui correspondent très généralement à nos signes astraux aussi. Il a proposé que nous échangions nos numéros. Comme je n’avais ni mon portable ni un papier, il a voulu que j’apprenne le sien par cœur, et me l’a fait répéter cinq fois – je m’en suis souvenue quelques jours et je me suis dépêchée de l’oublier. Il m’a parlé de sa femme, ancienne institutrice, de sa passion pour les livres, me citant même Byron dans le texte. En se séparant, il m’a à nouveau serré la main, la gardant bien trop longtemps à mon goût, je la retirai même un peu brutalement. N’empêche, il nous donna rendez-vous le lendemain à la même heure.
Le jour dit, Petit Samourai et moi étions occupés à tailler et peindre des feuilles de palmier alors nous ne descendîmes que bien plus tard nous baigner. Mais nous vîmes Mahesh lancer plusieurs œillades à notre balcon du deuxième étage. Sa femme et lui descendent tous les soirs pendant une heure. Ils déambulent (lui claudiquant) chacun de leur côté, s’arrêtant sur un banc le temps de faire des exercices de respiration ou quelques mouvements yoguiques, mais séparément.
Une semaine plus tard, je traversai la pelouse adjacente à la piscine après avoir garé ma voiture quand j’entendis « tsss tsss ». J’avais bien vu Mahesh et essayé de l’ignorer, mais, visiblement, il n’allait pas s’en tenir là. A nouveau, il me serra longuement la main. Puis il me tira vers lui quand j’écrasai un moustique sur ma jambe : j’étais sur l’herbe et lui sur le chemin, peut-être moins fréquenté par les insectes ? Il me conseilla alors de me couvrir les jambes, à quoi je rétorquai que ces infernales bêtes m’adorent et me piquent à travers les vêtements. De ses deux mains, il m’empoigna alors les joues et me dit « Mais c’est parce que tu es trop ador-able ! Et tu es si douce et gentille. » De deux choses l’une : soit il lit en moi comme dans un livre ouvert grâce à un don, ou bien il me flatte avec flagornerie. Personne ne trouve que je suis douce ni gentille, on me trouverait plutôt distante et hautaine, en tout cas au premier abord. Estomaquée par ce geste dont je n'ai été témoin qu’entre des grands-parents et des enfants, je n’osai pas trop réagir. Mais son odeur de vieux et la teinture de ses rares cheveux me donnèrent envie de prendre mes jambes à mon cou. Je pris donc congé au plus vite, en proposant qu’on se voit un autre jour, avec mon mari. « Oui oui ! Tu dois venir, ton mari ira parler avec ma femme. » Je n’ai pas vraiment compris pourquoi mon Indien préféré irait s’entretenir avec son épouse, mais passons. J’allais m’éloigner quand… il recolla ses grosses pattes sur mon visage et y colla même deux grosses bises, une de chaque côté.
Complètement sonnée – n’ai-je pas écrit que les démonstrations d’affection de ce type sont rares en Inde ? – je courus littéralement demander leur avis à mes voisins. Est-ce une attitude normale d’affection envers les « jeunes » ? J’ai passé la quarantaine pourtant… Ou bien est-ce un geste déplacé ? Ils m’ont laissé libre interprétation, avec une moue qui en disait cependant long. Mon mari a été beaucoup moins diplomate et s’est insurgé contre l’attitude de ce « sale vieux bâtard ».
Le fait que Mahesh répondit à mon salut hier à la piscine, mais qu’il ignora royalement mon Indien préféré qui s’était exceptionnellement joint à nous, me fit penser que ce dernier n’avait peut-être pas complètement tort…