19 avril 2001 / Mort d’André du Bouchet / Incipit de Wolfgang Matz.

Publié le 19 avril 2024 par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours

                          Le 19 avril 2001 meurt à Crest, dans la Drôme, le poète André du Bouchet.

Á travers un verger de cognassiers (extrait).

   Nous en sommes restés à une rencontre ; la seconde, qui était déjà convenue, a été empêchée par la mort d’André du Bouchet le 19 avril 2001. Avant et après cette unique rencontre : des lettres, des conversations téléphoniques, deux livres désormais qui sont pour nous plus que des livres. Et le souvenir inoubliable d’un après-midi lumineux, d’un homme d’une profonde et calme cordialité, d’un lieu qui en un jour est devenu aussi pour nous quelque chose comme un des lieux de la poésie.
    Longtemps il n’y avait eu que le poète, quasiment inconnu en Allemagne (et lorsque quelqu’un le connaissait, c’était à travers Paul Celan qui a traduit de lui, en 1968 un unique recueil : Dans la chaleur vacante). Peu savaient qu’inversement, il avait pour sa part traduit Paul Celan en français, ainsi qu’en 1967 les grands hymnes de Hölderlin pour l’édition publiée sous la direction de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. Malgré l’initiative de Celan, André du Bouchet restait n poète énigmatique, avec ses textes fragmentaires, où les mots roulent sur la page blanche comme des cailloux sur la pente abrupte du mont Ventoux.

La montagne,
                                   la terre bue par le jour, sans
     que le mur bouge.

                    La montagne
                   comme une faille dans le souffle

                  le corps du glacier.

Les nuées volant bas, au ras de la route,
      illuminant le papier.

Je ne parle pas avant le ciel,
                                               la déchirure,
                                                                          comme
      une maison rendue au souffle.

J’ai vu le jour ébranlé sans que le mur bouge.

    « Une montagne nous sépare », tel est le titre de l’essai de Philippe Jaccottet a consacré en 1983 à André du Bouchet et à son œuvre. Cette montagne, la Lance, est un massif étendu dont les pentes dentelées qui vont s’adoucissant ferment l’horizon. Elle s’offre à la vue le matin devant la petite terrasse de la maison dans laquelle nous logeons depuis quelques années au printemps, quand nous rendons visite à Philippe et à Anne-Marie Jaccottet. C’est le vendredi 21 avril 2000, et il nous apparaît seulement maintenant, en consultant un vieux carnet, que le hasard a choisi une date qu’on serait tenté de prendre pour un choix symbolique de celui qui écrit. Non, c’est vraiment le 21 avril, une journée de printemps fraîche et lumineuse. Trois jours plus tôt on pouvait voir le matin, après la pluie tombée la nuit, là-bas sur le sommet de la Lance, une couche étincelante, mais le soleil l’a pratiquement fait fondre en quelques heures.
     Cette fois-ci, la visite régulière à Grignan était particulière. D’une part, ce printemps et cet été-là, nous nous étions de nouveau attelés à la traduction d’un volume de prose et de poèmes de Philippe Jaccottet, Cahier de verdure, et il restait des questions dont nous préférions discuter dans son bureau plutôt que dans une lettre. Il y avait d’autre part un nouvel élément : la traduction d’un poète dont il fallait accompagner la publication. Quelques années auparavant à Paris, Sander Ort avait commencé à traduire en allemand une sélection de poèmes tirés de l’œuvre complète d’André du Bouchet, en collaboration avec l’auteur. La petite maison d’édition du Lyrik Kabinett à Muniche avait tout de suite accepté la proposition et prévoyait de faire entrer le volume dans sa collection. Mais depuis un certain temps, l’entreprise était à l’arrêt, du Bouchet gravement malade ; la traduction posait des difficultés considérables.
   Qui connaît l’œuvre d’André du Bouchet imagine à quels obstacles est confronté le traducteur. Sander Ort le savait aussi bien que l’éditeur, et il y avait donc eu durant quelques années un échange de manuscrits et de lettres entre Paris et Munich, constitué de critiques, de propositions, de réponses et de nouvelles versions. Toute une série de questions difficiles demeurait toutefois en suspens, et même du Bouchet ne parvenait pas, de loin, à apporter des éclaircissements. Le 11 février 2000, il avait encore écrit dans une lettre postée à Paris : [il s’agit de] « poèmes dont je n’ignore pas qu’ils passent avec beaucoup de difficultés dans une autre langue – et c’est là peut-être leur faiblesse. » Cela peut-il vraiment être une faiblesse pour un poème que de pousser sa propre langue et ses possibilités à leurs limites, au point qu’il soit difficile de trouver un équivalent dans une autre ? À cet égard, mais à cet égard seulement, la poésie de du Bouchet rappelle sans cesse celle, par ailleurs si différente, de Paul Celan (et Celan n’avait pas seulement été le premier traducteur d’André du Bouchet, mais aussi un ami proche).
     Le désir d’une rencontre, d’une conversation en tête à tête, devenait de plus en plus fort. Deux années auparavant, le rendez-vous avait dû être annulé ; les mois suivants, on avait reçu de Paris la nouvelle d’une évolution très préoccupante de la maladie, on s’attendait chaque jour au pire. C’est alors que contre toute attente il y eut un revirement. L’inespéré se produisit, un nouveau traitement apporta une amélioration, et quelques semaines plus tard on recevait un coup de téléphone : André du Bouchet revenait à Truinas. On reprit contact et l’on convint d’une visite en avril. »

Wolfgang Matz, « À travers un verger de cognassiers. André du Bouchet » in Du bonheur de la vie poétique,
En pensant à André du Bouchet, Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet, Traduit de l’allemand par Rosine Inspektor,
Le Bruit du Temps 2024 pour la traduction française et la présente édition, pp. 9, 10, 11, 12, 13.

A N D R É   D U   B O U C H E T

André du Bouchet par Jean-François Bauret, 1977
Source

■ André du Bouchet
sur Terres de femmes ▼
→ En pleine terre
→ Le moteur blanc
→ sur la terre immobile
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur Terres de femmes) 20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
→ (sur Terres de femmes) Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour (note de lecture)
→ (sur Terres de femmes) Paule du Bouchet | Point final
→ (sur le site de Radio Télévision suisse) Présence d’André du Bouchet (Entre les lignes, émission du 14 janvier 2013)