Patricia PINZUTI-GINTZ / Rétrospective à trois VOIX / Bernadette Engel-Roux / Sylvie Fabre G. / Angèle Paoli

Publié le 11 mai 2024 par Angèle Paoli

Rétrospective à trois VOIX autour de l’exposition de dessins de Patricia PINZUTI-GINTZ
Librairie-Galerie Arthaud, Grenoble, février 2024

Patricia Pinzuti-Gintz
Bernadette Engel-Roux
Sylvie Fabre G.
Angèle Paoli

                              à ma petite-fille Maëlys

D’une longue pratique de la couture, Patricia Pinzuti-Gintz a conservé le goût des tissus dans son travail graphique. Mais c’est ici sous forme de voiles qu’ils apparaissent, comme une constante. Une exposition récente à la Librairie-Galerie Arthaud à Grenoble, a permis de découvrir les variations de la recherche de l’artiste, qui pose des voiles sur toutes ses figures.

Le voile, comme c’est sa nature, dissimule autant qu’il révèle. La figure est voilée car elle ne peut apparaître nue à nos yeux, non plus que disparaître tout à fait, puisque le voile la révèle sous sa transparence. Des axiomes de la Grèce ancienne disent que « la déesse apparaît voilée », ou que « la nature aime à se cacher ». Le visible n’a pas l’évidence qu’on lui suppose.
Un mystère se joue ici entre secret et révélation, sans qu’on puisse rien décider. La Galerie de Grenoble présentait d’étranges figures, pendues au plafond, comme flottant dans le rien de leur inconsistance, fantômes ou squelettes, corps qui n’en sont plus où la chair manque, et qui obstinément balancent dans le vide de leur désincarnation.
De longs filaments (dont on n’oserait affirmer qu’ils sont des pattes) pendent d’une demi-sphère, laissant supposer une araignée géante, mais sans maléfice puisque le voile limite tout mouvement, au-dessus de longs fils trop lâches pour faire proie.
Quand il arrive qu’on s’aventure à discerner un corps humain, c’est pour le voir pris dans un élan de fuite, retenu par le voile où son avancée s’empêtre, comme si sa fuite n’était que rêvée et renoncée.
Les oiseaux (rares dans les images de Patricia Pinzuti-Gintz ) qui pourraient être l’emblème même de l’envol, de la liberté, de l’immensité comme ils le sont ailleurs, sont pris dans la limite de ces filets transparents qui sont l’enclos de leur liberté contrainte, mais ils bougent pourtant sous un vent invisible.
Enfin, une courte série de « paysages avec arbres » se détache de l’ensemble, pour notre regard du moins, par la belle mais étrange couleur verte du papier teint qui est leur support graphique. Seuls dans le large ouvert d’une vallée insituable ou posés sur un rocher improbable, ils vibrent tous sous un voile inexplicable, dans la lueur dorée qui laisse filtrer l’espoir d’un jour hors du temps. Ces paysages n’appartiennent à aucun lieu, ces arbres n’ont nulle identité végétale, quand la seule certitude qui nous demeure est de les reconnaître comme « arbres », dans l’hiver où ils attendent transis, en toute absence de feuillage.
Il arrive aussi que le voile seul demeure où toute figure s’est évanouie ou dissipée.
Devant ces dessins au crayon ou au fusain et rehaussés de craie blanche, on pense que toutes les figures, minérales, végétales, animales ou humaines qui peuplent l’univers de Patricia Pinzuti-Gintz remontent d’un lointain domaine du rêve ou de la mémoire, teinté de mélancolie, comme si tout ne relevait plus que d’un espace et d’un temps où nous n’avons plus accès.
C’est là l’univers mystérieux que nous a révélé le travail graphique de Patricia Pinzuti-Gintz, lors de l’exposition qui s’est tenue en février dans la Librairie-Galerie Arthaud à Grenoble, et dont on souhaite qu’elle se renouvèle.

Bernadette Engel-Roux, avril 2024 Dans le cadre de l’exposition Muses de P. Pinzuti-Gintz


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Le travail de Patricia-Gintz ne cesse de chercher la source invisible du visible, là où se perd le regard dans l’espace, le temps et son humanité. Creusant le lointain par le proche, le réel par le mythe et l’imaginaire, son art unit la main à la pensée, le dehors au dedans, la mémoire à l’histoire, singulière ou universelle. L’artiste y montre le paysage, les choses et les êtres comme offerts à la divination.
Ainsi dans cette exposition, intitulée Muses, ses dessins et ses installations fraient une fois encore la voie qu’explorent aussi les poètes depuis Orphée. Dans sa familiarité énigmatique, la vie avec la mort nous apparaît, sous son crayon ou ses voiles, en ses figures les plus quotidiennes et les plus symboliques. L’éphémère contient ses éternités. La poésie est déjà là présente, le dialogue des langages peut commencer.

Sylvie Fabre G.


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La première fois que j’ai vu les installations de Patricia Pinzuti-Gintz c’était en 2014, au Musée Marc Petit, sis dans l’espace du Lazaret Ollandini à Ajaccio. Je connaissais Patricia de nom, grâce à l’intermédiaire de mon amie poète Sylvie Fabre-G, ici présente, mais je ne l’avais jamais rencontrée. Et j’ignorais tout de ses œuvres. Pourtant, nous sommes issues l’une et l’autre d’une même terre, la Corse. Le Sud pour elle, le Nord pour moi. Mais son nom n’était pas parvenu jusqu’à moi.
C’était l’été, dans les allées du Lazaret et les visiteurs déambulaient entre les livres et les œuvres d’art qui jalonnaient notre cheminement. Au-dessus de nos têtes, des silhouettes de tulles et de gaze translucides, voiles légers animés par la brise, voletaient alentour, semblables à de grands spis de femmes papillonnant dans les airs. Une invitation au voyage qui continue de m’habiter et m’a longtemps fait rêver de rencontrer l’amie insulaire.
C’est à nouveau mon amie Sylvie Fabre. G qui a été l’initiatrice de cette nouvelle rencontre. Dans l’atelier grenoblois de Patricia. Aussitôt, un fluide d’inédit est passé entre nous et nous étions déjà comme deux vieilles amies, enfin retrouvées.
C’était un cadeau inespéré et comme un éblouissement. L’émotion circulait entre nous trois, qui nous guidait à l’improviste d’une œuvre à une autre, de tulles en tulles. Je me souviens du regard pensif de cet animal voilé – âne ou chèvre – l’un et l’autre à la fois, qui nous dévisageait derrière son enchevêtrement de branchages. Peut-être le symbole de notre mémoire partagée. Je revois aussi cette robe fluide, flottant au-dessus du vide, vide de corps féminin mais habitée, bleu sur bleu, par l’absente qui l’avait revêtue.
Visage voilé au regard triste et pénétrant, ombres tirées de leur sommeil pour revisiter les vivants, corps de statues, figées mais vivantes, sorties de quel souterrain, de quelle tombe, de quel labyrinthe ? Patricia Pinzuti-Gintz possède comme nulle autre cet art inédit de jouer sur les frontières de la vie de la mort, de « transformer l’absence en présence ». Je vois en elle une maîtresse-femme-en-sorcellerie, mystérieuse et bienveillante, inscrite au plus profond de la nature.
Telle que l’artiste nous donne à l’habiter. Telle que nous l’aimons.

Angèle Paoli


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