La médecine est une synthèse unique de trois facteurs, la maladie, l’être humain, et l’interface entre les deux.
C’est une évidence, mais chaque jour j’en fais l’expérience.
Un jour je vais apprécier une maladie à la physiopathologie complexe, à l’évolution surprenante, aux signes cliniques «classiques », c’est à dire décrits il y a 200, 300 ans, voire plus par nos grands prédécesseurs.
Un autre jour, je vais admirer la ténacité d’un patient par rapport à une maladie grave, ou au contraire constater avec tristesse son effondrement physique ou psychique. Chaque patient est différent, et je défie quiconque de prévoir à l’avance l’évolution de cette interface être humain/maladie.
Enfin, last but not least, l’être humain tout court, celui qui a préexisté à la maladie. Souvent si dérisoire, mais aussi parfois si grand, et surtout si inattendu.
Pour illustrer ce dernier facteur, une petite histoire.
C’est un monsieur d’origine algérienne, non kabyle, la soixantaine, vivant en France depuis l’indépendance. Il ne parle pas très bien français. Il est réservé, discret et quand il me salue, il met sa main droite au cœur, comme le font la plupart des personnes de sa génération.
Pour l’examiner, je le fais déshabiller. Et je découvre, oh surprise, un tatouage « fait maison » qui représente une femme aux cheveux mi longs, encadrant un visage à peine évoqué, de face et en buste. Rien de sexuel, la poitrine n’est même pas esquissée.
Je lui demande l’âge du tatouage, il date des années soixante.
Je lui demande qui il représente.
Je m’attendais à presque tout : sa mère, sa soeur, sa petite amie du moment, sa femme…..
"C’est Madame Kennedy"
Inattendu, pour le moins. Il me précise qu’il l’a fait faire l’année de l’assassinat de JFK.
J’ai préféré ne pas aller plus loin et respecter l’histoire de ce gentil monsieur.
C’est pour cela que j’aime tant mon métier. Scientifique, juste ce qu’il faut et incroyablement humain.