Le romancier et essayiste britannique Aldous Huxley a probablement produit la seule littérature authentiquement écologiste. "Brave New World" reste une lecture utile, voire indispensable pour les jeunes militants écologistes, car elle leur permet de prendre la mesure de l'échec de l'écologie politique dans la seconde moitié du XXe siècle, de comprendre à quel point les militants ont pu être bernés pendant plusieurs décennies, ne remportant que des victoires limitées.
Le personnage du Sauvage inventé par Huxley est l'ancêtre de l'écologiste radical -ou sincère, si on préfère-, nécessairement marginalisé dans une société qui repose, à l'échelle mondiale, sur le gaspillage de la ressource humaine. Les "hippies" furent, aux Etats-Unis, de tels "sauvages".
La shoah, qui intervient une dizaine d'années après la publication de la dystopie d'Huxley, prouve que les calculs industriels sont
L'une des premières préoccupations d'Huxley est l'usage de méthodes eugénistes industrielles barbares, la propagation de ces méthodes à travers l'argument "transhumaniste". La Chine totalitaire donnera malheureusement raison à Huxley en utilisant de façon systématique ce type de méthode "au nom du progrès" ; la barbarie s'avance ainsi au XXe siècle derrière l'argument du progrès., qui sert à légitimer aussi bien la politique européenne de destruction de l'agriculture traditionnelle que les investissements massifs dans de nouvelles technologies dépréciant l'être humain et l'environnement.
A. Huxley est le seul écologiste authentique car il place la question de l'évolutionnisme darwinien au coeur de son propos ; il attire en effet l'attention sur le fait que le darwinisme social, sous toutes ses formes, a conduit à des catastrophes économiques et écologiques - le nazisme et sa théorie de la race aryenne sont loin d'être le seul exemple de darwinisme social barbare ; on voit beaucoup d'économistes se consoler ou se satisfaire de désastres économiques d'ampleur, au nom de la capacité de l'être humain à s'adapter à tout. Du point de vue écologique, il n'y a eu aucune amélioration depuis la crise mondiale de 1929 ; et c'est une terrible défaite pour l'écologie politique que le bon bilan de Donald Trump dans le domaine de la dépollution, car ce bon bilan est... le plus involontaire qui soit.
L'éthique darwiniste du "struggle for life", dont la bêtise du surhomme aryen, englouti sous les décombres de son rêve de suprématie, est un accomplissement, A. Huxley incite à la regarder comme fondatrice d'une éthique barbare, une éthique que l'on retrouve à l'arrière-plan de l'élitisme occidental au cours de la seconde moitié du XXe siècle : les technocrates sont avant tout le produit d'une compétition académique, et cette organisation l'emporte sur la démocratie ou la république.
Sur ce point, Huxley rejoint George Orwell, qui décrit l'action politique au stade totalitaire comme une action qui trouve en elle-même sa fin.
Paradoxalement l'Avenir, qui est le but abstrait visé par les régimes totalitaires, est la perspective la moins écologiste qui soit. L'Avenir n'est rien d'autre que le cadre d'une compétition économique sans merci. Si l'on devait donner un nom scientifique à la connerie au XXe siècle, "darwiniste social"* conviendrait parfaitement.
Il est difficile de prendre au sérieux l'un de ces comités d'éthique scientifique réunis au cours des XXe et XXIe siècle, pour inventer des concepts bidons tels que le "principe de précaution" (de qui ses inventeurs se paient-ils la tête ?), après avoir lu "Brave New World" (1932). L'académisme français a probablement aggravé ce phénomène ; n'a-t-il pas été un jeu d'enfant, pour l'industrie pharmaceutique, de privatiser la recherche médicale et de l'orienter vers des niches lucratives ?
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Peut-être le pessimisme d'A. Huxley a-t-il dissuadé de nombreux lecteurs ? Huxley avait fini par mépriser les élites occidentales au point de les croire capables de déclencher le feu nucléaire par pure bêtise ; la démarche suicidaire de l'Occident, attestée par son mépris de l'humanité et de l'environnement, pouvait aller selon Huxley jusqu'à son terme fatal ; le nazisme, d'une certaine façon lui a donné raison, du fait de sa démarche suicidaire.
G. Orwell est moins pessimiste ; si sa dystopie ne cache rien de la cruauté sadique des élites dirigeantes, elle souligne que le destin des élites occidentales est lié à celui de leurs esclaves. On a bien vu récemment à quel point les élites bruxelloises se sont trouvées démunies des instruments de leur domination, notamment électroniques et militaires, instruments qu'elles font produire à l'autre bout du monde.
L'affranchissement des élites de leurs esclaves (envisagé par Huxley sur le mode de la science-fiction) n'a pas eu lieu. Le rêve esclavagiste derrière le projet de développement de l'IA tient de la science-fiction, comme le transhumanisme qui, en un siècle, a stagné : un simple coronavirus tueur de buveurs de Coca-cola a ridiculisé la médecine occidentale et souligné l'aberration de ses pratiques.
Chaque krach économique a pour effet de discréditer les élites politico-économiques et d'entraîner une prise de conscience d'une partie de l'opinion - de la sortir de sa torpeur. La première préoccupation des élites après le terrible krach de 2008, qui a fait des dégâts sociaux considérables, a été de dissimuler les preuves de leur mauvaise gestion. Mais de là vient peut-être une résistance accrue de la classe moyenne aux différents dispositifs technocratiques pour la tenir en haleine, dont les médias en premier lieu, financés à fonds perdus par l'oligarchie industrielle.
Le militantisme écologique est sans doute une erreur dans laquelle s'engouffrent les jeunes militants car l'écologie est une niche, une revendication spécifique. Les protestations de la classe moyenne sont beaucoup plus centrales. Il est aisé pour G. Darmanin, étant donné l'arsenal médiatique à sa disposition, de faire passer les militants écologistes pour de dangereux extrémistes ; c'est plus difficile quand il s'agit des Gilets jaunes, dont le mouvement part du centre, et contourne les différentes nasses électorales.
*Essayer de disculper Charles Darwin de la théorie raciale nazie, comme certains biologistes l'ont fait, est assez vain puisque Darwin n'est pas responsable des différentes théories sociales qui ont pu être déduites de sa thèse transformiste. Il n'en reste pas moins vrai que la théorie de Darwin implique une revalorisation de l'instinct animal et de l'inconscient ; celle-ci interpelle forcément les philosophes puisque la démarche humaniste s'appuie sur la possibilité offerte à l'homme de maîtriser son instinct, en particulier à travers l'art.