Eté 1963, Lancelot s'est mis en ''retraite'' et a rejoint Fléchigné. C'est avec soulagement, qu'il estime ne plus avoir à se soucier de l'agitation politique.
Par contre, il reste fortement attaché à l'Eglise. Après sa retraite à Solesmes, il devient même un ''pratiquant '' régulier des services de sa paroisse. Il en était ainsi de sa mère, comme d'une très grande majorité des gens, avant la fin des années 60.
Le curé-doyen, le père Clavet - avec inquiétude - s'intéresse de près à ce qui se passe au Concile ( ouvert en Oct 1962), et en informe ses paroissiens. Très curieux de l'expérience de Lancelot au Vatican ; il cherche sa collaboration pour informer la population.
Lancelot modère les craintes du père curé : il ne s'agirait que d'un aggiornamento ( selon Jean XXIII), c'est à dire d'une mise à jour. Il imagine de nouvelles propositions sur le plan pastoral : ne conviendrait-il pas de présenter dans un langage plus moderne les vérités éternelles ? On pourrait imaginer une ''reprise'' de Vatican I qui, n'oublions pas, avait été suspendu suite à l'invasion de Rome par les troupes italiennes en septembre 1870 ; il pourrait durer une année, sur 2 ou 3 cessions...
Lancelot avait noté deux points points qui lui semblaient urgents à clarifier, lors de ce Concile.
- Le constat d'une Eglise en décalage avec le monde actuel.
- La place de l'Ecriture et de la Révélation au travers la diversité des genres littéraires que contient la Bible. Que ce soit en science exacte, ou en Histoire : " la Bible ne contient pas d'enseignement scientifique " ! Déjà en 1903, le Père Lagrange était partisan de ''La méthode historique''. Le Père M.-J. Lagrange est le fondateur en 1890, de '' l'École Biblique de Jérusalem ''.
Le Père Clavet exprime ses craintes d'une réforme qui retirerait au petit peuple, ses repères, sa piété simple mais sincère...
A l'intime spirituel, qualifié d'individualisme, on préférerait - dit-on - un aspect communautaire, collectif de la liturgie... Clavet qui a horreur des grandes célébrations fascistes ou communistes y décèle plus de paganisme que de spiritualité.
Effectivement, Lancelot comprend ce point de vue ; à ce propos il retrouve un passage du livre de Raïssa et Jacques Maritain, Liturgie et contemplation (1959) : " La systématisation pseudo-liturgique confond les ordres et au lieu de tendre à élever le social humain par la vie de l'esprit, elle tend à soumettre la vie spirituelle au social humain. Ce qu'il faut lui reprocher avant tout, nous semble-t-il, c'est de rabattre sur le plan du social humain ce qui appartient de soi au social divin ".
D'ailleurs, Lancelot ne se cache pas de goûter le mouvement liturgique qui avait été initié par Dom Guéranger (1805-1875), abbé de Solesmes, restaurateur de la vie bénédictine en France, et du chant grégorien.
Il suit également le mouvement de la Patristique, avec Jean Daniélou et Henri de Lubac qui sont à l'origine de la création de publications des Pères anciens, " les Sources Chrétiennes ".
Et, ce n'est pas contradictoire, Lancelot espère que l'enthousiasme - de l'apôtre du mouvement Œcuménique qu'était l'abbé Paul Couturier (1881-1953) - de changer "absolument" le climat entre '' frères séparés '', sera repris. N'oublions pas que Pie XI dans Mortalium Animos, en 1928 : écrivait hélas encore: " L'union des chrétiens ne peut être pensée autrement qu'en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ. " .
Enfin, Lancelot, regrette que la fin du long pontificat de Pie XII ait maintenu certaines tensions inutiles autour de la ''nouvelle théologie'' avec la condamnation de théologiens. En effet, les Pères Henri de Lubac, Pierre Ganne, Henri Bouillard, Émile Delaye, Alexandre Durand Jésuites, ont du cesser leur enseignement et renoncer à publier !
Finalement, nous reconnaissons que les attentes sont énormes. Le Concile durera trois années, sous deux pontificats ( Jean XXIII et Paul VI) en quatre cessions. Le concile approuvera 4 constitutions, 9 décrets et 3 déclarations.
Seulement deux jours après l'ouverture de la première cession, un groupe de cardinaux français, dont le doyen le cardinal Liénart, évêque de Lille, rompt le ''rituel '' et s'oppose à l'organisation proposée de la Curie, sur la composition des commissions. Et si les évêques refusaient d'être une chambre d'enregistrement ?
Le calendrier est bouleversé, et chacun commence à prendre conscience que la durée du Concile est indéterminé, et s'annonce sur plusieurs cessions....
L'Esprit souffle fort, et déstabilise même les acteurs... Exemple : le dominicain Yves Congar (1904-1995) théologien autrefois suspecté et surveillé par le Vatican devient cependant, à sa grande surprise, " consulteur pour la commission théologique préparatoire ". Son souhait est " faire avancer l'Église ", la faire évoluer dans son ecclésiologie, ses formes langagières, sa théologie, dans une perspective de " ressourcement ", face à une tradition qu'il perçoit comme recouverte par le " juridisme romain " et une théologie " baroque ".
Autre nouveauté, ces ''experts'' - 480 prêtres nommés au titre de leur compétence académique - conseillent des évêques seul autorisés à voter... Hans Küng est l'un d'eux qui critique fortement la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale par le concile Vatican I. Il se dit favorable à ce que le Concile revoit la question du célibat des prêtres et toute la question des ministères. ( ouverture aux femmes !)
Plus généralement, la curie et le cardinal Ottaviani ( le patron du Saint-Office) résistent au changement mais restent minoritaire.
La constitution sur la liturgie est le premier texte adopté ( 2ème cession) et statue sur la place du latin, la communion sous les deux espèces, l'importance de l'Ecriture et l'organisation du rite....
La correspondance de Lancelot avec le père Maurice Maillard, laisse entrevoir une discussion au sujet de la Liturgie, et il lui avait rapporté la citation des Maritain notée plus haut.
Le père Maillard reprend et défend la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium en date du 4 décembre 1963. Cette réforme s'inscrit dans une reconquête pastorale, les gens désertent la messe ! - Finalement, il s'agit d'une action sociale, celle d'instaurer le Christ dans la société. La liturgie est un instrument d'évangélisation, elle se doit d'être proche des fidèles.
La liturgie, comme prière collective, assure la visibilité de l'institution et - important - est catéchèse ; aussi est-il nécessaire de l'adapter au monde moderne : célébration face au peuple , utilisation du français, place centrale de l'Écriture Sainte, participation aux chants... etc.
Lancelot comprend bien cette argumentation, mais elle ne nourrit pas sa foi. Peut-être est-ce parce sa foi intime se rattache à une histoire lointaine, et qui n'exclut rien de ce qui l'a enrichie jusqu'à aujourd'hui. C'est précisément un point essentiel de cette Quête. Peut-être serait-il intéressant de réfléchir à la liturgie, à la lumière du Graal...