<< Poésie d'un jour
Photocollage : Eritréa → G.AdC: photos by Google
J’ai cette photo de moi, visage rougi presque bronzé,
bretelles du petit sac à dos plaquant le polo contre
mon corps, désert et montagne en fond – ville de
Keren, Érythrée
La route serpente sur les versants, carcasses
de blindés ready-made, macaques sur l’asphalte
(macaques, babouins, qu’est-ce que j’en sais en)
revenant de Massawa où les ruelles trop chaudes et
malades… sans Rimbaud
Palais du Négus éventré, un baobab, le premier que je
voyais : le Petit Prince !
Keren s’ouvre sur la poussière, ses charrettes à plateau
tirées à folle vitesse par des chevaux blancs qui
soulèvent des nuages, les land-rover, les dromadaires
et ces pluriels non mérités, tant il y a peu ici
Cette autre photo, dans les faubourgs d’Asmara :
bidonville en contre-plongée (de loin) et un camion
rouge à côté de ce qui doit être un entrepôt
On rasera le bidonville et quand le camion trop vieux
aura pété son joint de culasse, sa peinture va cloquer
au soleil ; toute cette ferraille va rouiller
Merci, Faytinga, pour le café que tu as préparé, voici
que je reste seul avec mes nerfs et le kaléidoscope
.
Je crains bien que nous ne nous débarrassions jamais de Dieu
puisque nous croyons encore à la grammaire. (Nietzsche)
.
Ma tête, l’ayant dévissée, l’ayant calée sous mon bras,
elle tait ses parenthèses, ses guillemets, je sors en
pareil équipage, qu’est-ce qui me prend, qu’est-ce qui
m’habille, me contient en sorte que je, en sorte que
ma tête disperse les passés simple et composé ; gonflé
de cet hélium, vois comme je me dévêts, reste nu et
m’avance
Entre les mains griffues de la nuit, la lune trône
impassible au milieu de ses courtisanes ; séquences
dans les intervalles desquels l’instant
-et ces phrases ne sont-elles pas comme une pluie
de curieux têtards ?
Ma tête, l’ayant torticolis vers d’autres réfléchir,
j’écriture comme je tordu et si je prends peur, dans le
labyrinthe on ne meurt jamais, ma tête revissée en haut
du phare, may day, may day
Ma tête échouée de côté à l’oreiller sang caillé -c’est
que/ peut-être / la lumière – ma tête proie sans
méfiance des eaux dormantes je la perds dans
l’archipel vaporeux des rousseurs, ah que sonnent les
voyelles pour le psaume de la nuit goulue
Mauvais sang me rend la tête esquintée, le cœur galet
pourfendu ; la main mienne à l’étiage du sommeil,
cet apaisement diffus en lente circulation, patient
ravaudage
Suffit cet évangile minimal pour les prochaines
heures, coudre ainsi la gueule du néant, je m’extrais,
je prépare un café
Entre les mâchoires de la hyène, l’entier alphabet
siffle la grande F majuscule de la folie, ma tête est
mon cénotaphe et pas plus mort que vivant, moi,
contradictoire, qui n’y suis plus, la grande F majuscule
de la folie fortissimo, cela est féroce farandole de non-
sens, ma tête hantée par ce fracas, hall désert, de
gigantesques plantes vertes agonisant au long des
baies vitrées et le carrelage comme une banquise
crevassée
Jean-Christophe Belleveaux, « De quoi s’agit-il ? » in Les lointains, Faï fioc 2024, pp.80, 81, 82.
JEAN-CHRISTOPHE BELLEVEAUX
Source
■ Sur Terres de femmes
→Territoires approximatifs, éditions Faï fioc, 2018,
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Jean-Christophe Belleveaux