Marx et le fait religieux

Si Karl Marx n'est pas ou peu anticlérical, la raison en est simple : déjà, de son temps, dans l'Allemagne de Bismarck, le clergé avait perdu la plus grande part de son influence au profit de la démocratie-sociale, qui sera la grande ennemie de Marx. Celui-ci prévoyait qu'elle se chargerait de berner le peuple, "ce que le parti réactionnaire est trop bête pour faire".

Autrement dit, Karl Marx avait prévu Léon Blum et la SFIO, la transformation du prolétaire en combattant nationaliste.

Le clergé catholique était donc déjà "has been" du temps de Karl Marx. Il l'était d'autant plus que l'Allemagne fut, bien plus qu'une autre, une nation industrielle et ouvrière. Le Japon a été transformé par les Etats-Unis en consortium industriel, mais il a existé sous une autre forme, contrairement à l'Allemagne. On ne peut comprendre le destin tragique de l'Allemagne et ses Juifs, sans comprendre cela. Dans la Russie paysanne, les bolcheviks ont éveillé la haine des paysans enrichis ; dans l'Allemagne ouvrière, le parti nazi a allumé la haine du banquier juif (pas de tous les banquiers, ça va de soi).

L'influence du catholicisme s'est un peu éternisée en France, car elle était bien moins industrialisée. Marx explique comment Napoléon III a berné les paysans français avec ses démonstrations de foi catholique, tandis qu'il menait une politique franchement industrielle ; cela fait penser à la manière dont écologistes ont été bernés par l'écologie politique au cours des dernières décennies.

L'économie capitaliste n'abolit pourtant pas la religion selon Marx, loin de là. L'économie capitaliste engendre une forme d'espérance adaptée aux contours et aux promesses de l'économie capitaliste, qu'elle ne remet pas en cause. On peut se demander si le communisme n'est pas la formule même de la religion capitaliste, c'est-à-dire une sorte de paradis où règnerait l'égalité parfaite, coûte que coûte. Il ne s'agit pas de la formule marxiste, puisque celle-ci définit l'Etat comme un obstacle au communisme.

Quand ils remettent en cause la société de consommation - l'écologie a-t-elle un sens en dehors de cette remise en cause ? -, les écologistes n'ont pas toujours conscience qu'ils se heurtent là à la formule religieuse du capitalisme.