Nous sommes en 1966, et vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis la défaite allemande. Lancelot se souvient d'une époque où l'antifascisme couplé souvent à la Résistance, menait les intellectuels à valoriser l'engagement. Chacun affirmait sa manière d'être existentialiste.
Le communisme ne put que fléchir, après la désastreuse tentative de révolution à Budapest (1956). La France retrouvait la prospérité ; le général de Gaulle s'imposa (1958) et mit fin aux guerres coloniales (1962). Depuis, s'installe la société de consommation, qui semble bien nous démobiliser...
Quel engagement , peut-il être proposé aux jeunes générations, se demande Lancelot ?
- Pour la plupart d'entre nous, nous ne pouvons qu'être amateur d'une science qui se fait dans des laboratoires, remarque Lancelot. Tout progresse très vite...
Elaine reconnaît que nous sommes incités à nous spécialiser, et peut-être à nous isoler
- Cependant je remarque, ajoute Elaine, que de nouvelles sciences - elles se revendiquent sciences humaines - s'interpellent les unes les autres, je pense à la linguistique, la sociologie, l'ethnologie, la psychanalyse...
- Qu'est-ce que cela change ?
- Par exemple : ce que tu voyais comme une '' vision historique '', celle qui te permettait de croire à la mythologie révolutionnaire; et bien, ce n'était peut-être que le résultat d'intérêts, de pulsions, de fonctions que nous pourrions aujourd'hui mettre à jour...
- Je crains qu'il ne s'agisse alors que de désacraliser l'action de l'Homme... Et dans quel but ?
Que vont devenir nos ''valeurs'' ? Faudra t-il les relativiser aussi ... ?
Lancelot apprend que cette vague qui risque d'emporter sa vision .... se nomme le '' Structuralisme ''
Ce nouveau savoir se veut cohérent, scientifique, indépendant du sujet...
Elaine lui rapporte qu'en cette année 1966-67, le livre phare serait '' Les mots et les choses '' de Michel Foucault.
Ce que Lancelot va retenir de la lecture de cet essai ''difficile'', est la notion d'épistémé, mise en avant par Foucault. Quand l'épistémologie étudie les sciences, elle établit une généalogie du savoir, donc le long de l'histoire. L'épistémé est cet ensemble de connaissances, à une époque donnée, défini en analysant la vision du monde, le système de pensée. Cela sous-tend une une contrainte structurelle du savoir.
Une amie de Lancelot ( Clémentine), philosophe, lui assure que c'est la publication de '' La Pensée Sauvage ''de Lévi-Strauss, en 1962, qui a donné " le coup de grâce " à l'existentialisme, à " l'humanisme mou " : " la raison passait du côté de la pensée sauvage ", " il s'agit de remettre l'homme à sa place, non plus au centre de l'univers, mais comme maillon dans l'ensemble des conditions de la vie. Il s'agit de la déposséder de l'immense orgueil de la conscience. "
Lancelot note que, tout comme nous construisons de bien hauts HLM, peut-être nécessaires, nos penseurs, ethnologues, psychanalystes, historiens, imaginent des cathédrales de structures tout en rejetant la conscience, la liberté, l'idéalisme ...
Ce qui étonne Lancelot, c'est la critique que fait Clémentine de l'humanisme. Je reprends ici, quelques-uns de ses arguments :
- La Raison, s'oppose à l'argument religieux de l'humanisme
- L'humanisme est centré sur l'Homme, contre les autres formes de vivant.
- La justice n'est pas affaire d'humanisme, mais de règles sociales. ( pas de charité, mais de la politique)
- La maladie, la souffrance, la mort, ne sont pas des chemins, mais des combats.
Au XXe siècle, l'humanisme est critiqué pour son anthropocentrisme, son optimisme ( surtout religieux).
A l'opposé, le Structuralisme rejette l'idée d'un individu autonome ; et se donne l'objectif de révéler les structures sous-jacentes qui organisent la pensée, le langage, la société...
Lancelot conclut en s'adressant à Elaine : - Si tu valorises l'Histoire, l'évolution personnelle... Le structuralisme, lui, rejette cette dimension historique : les relations entre les éléments priment sur leur évolution dans le temps...