Si Lancelot goûte sa retraite solitaire à Fléchigné, il apprécie les visites régulière de sa fille Elaine, qui l'entretient, en particulier, de ses études et de ses recherches.
Cette fois-ci, Elaine tient à partager sa nouvelle découverte : la phénoménologie...
Elle a appris à se douter que ce sera pour son père, l'occasion de faire écho à d'anciennes rencontres. C'est particulièrement le cas ici ; et elle constate que Lancelot l'entraîne dans un périple en Allemagne au début des années trente.
( Cela se passait ici ( suivre le lien) → 1931 - L'Allemagne - 3 - Heidelberg - Edith Stein - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Je rappelle qu'alors, Lancelot partageait sa vie avec une femme au nom de : Elaine de L. ; elle avait été malheureuse par une union désastreuse, et s'accrochait à la religion comme à une bouée au point de penser à la vie religieuse. Après une rencontre ''coup de foudre '', lors d'une soirée mondaine ; elle va entraîner Lancelot, à Meudon, chez les Maritain. Ils ne se quitteront plus, dans les limites de son mariage au début ; et ... ensuite, jusqu'à sa mort en ...
En 1929, Paul Desjardins, rencontré à Davos, avait invité Lancelot et Elaine, aux fameuses décades d'été de Pontigny, qu'il animait. C'est en ce lieu, centre de rencontres intellectuelles, qu'ils ont entendu parler du philosophe Husserl et de la phénoménologie présentés par Bernard Groethuysen, allemand ( nationalisé français en 1938), qui parlait également admirablement de Goethe et d'Hölderlin...
Bernard Groethuysen, avec un ouvrage paru en 1926, sur la philosophie allemande, a introduit en France la phénoménologie. Il a fait connaître Husserl (1859-1938) et se prêtait volontiers au questionnement des non-spécialistes...
Dans la phénoménologie, on reconnaît que la connaissance ne repose pas seulement sur de la logique, ou du sensible; mais dans l'activité de la conscience... Husserl, nous disait-il, propose l'expérience de voir, comme s'il s'agissait d'une oeuvre d'art: le phénoménologue pratique ainsi l'épochè. Réapprendre à voir, c'est marquer un arrêt, mettre entre parenthèse le superflu...
La Phénoménologie, observe ce que la réalité laisse paraître... Nous y reviendrons.
Lors de leur voyage en Allemagne, Elaine et Lancelot avaient prévu un rendez-vous avec Édith Stein, comme ils l'avait promis à Jacques Maritain et à P. Desjardins, qui voulaient l'inviter... Ils étaient curieux de rencontrer cette femme de 40 ans, connue par sa carrière de conférencière, faute de n'avoir pu, comme femme, prétendre à un poste universitaire. Elle avait étudié la phénoménologie à Göttingen, et suivi Husserl. Elle avait soutenu son doctorat et devint son assistante, jusqu'en 1918. Sa demande d'habilitation à Göttingen fut refusée, bien que soutenue par '' le maître'', mais parce que ''femme''... A Breslau, elle donnait des cours chez elle, et enseignait au lycée...
Egalement, Lancelot raconte comment en 1952, à Ascona ( Italie) il côtoya pendant quelques jours C. G. Jung, sa femme Emma, et Henry Corbin dont il se mit à l'écoute avec chaque jour toujours plus de curiosité. ( à relire ici : 1952 - Ascona - Eranos - 2 - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Après être partis de la pensée allemande, avec K. Barth, puis Heidegger, Corbin expliqua sa découverte de l'Iran... Et en vint à la Phénoménologie, qui prend en compte tout acte de la conscience, tous : ainsi l'imagination, ou l'amour , bref : tout sentiment participe à la connaissance de l'objet. La connaissance du réel n'est pas seulement affaire de logique, mais l'affaire de l'acte de conscience.
C'est ainsi, je pense - reprend Lancelot - pourquoi les philosophes chrétiens s'intéressent à la phénoménologie. Cette méthode s'applique à décrire la manière dont l'Objet de notre recherche se donne à nous, se manifeste à nous, avant même que nous nous mettions à le considérer comme un objet dans une optique de connaissance.
Lancelot se souvient combien, lui et Elaine, avaient eu du mal à comprendre les tentatives d'Edith Stein à leur expliquer comment elle confrontait Husserl à Thomas d'Aquin, et comment finalement son explication s'était clôt par de grands éclats de rire...
Ensuite, Lancelot apprit à travers sa biographie - proposée par Elisabeth de Miribel et parue en 1954 - qu'en 1933, Edith Stein rejoindra le couvent Carmel de Cologne. Elle et sa soeur - qui l'avait rejoint - quittèrent l'Allemagne en 1938 pour résider au carmel d'Echt, en Hollande.
Sous le nom de Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein était devenue ''invisible'' pour le monde... sauf pour les nazis, qui vinrent arrêter Edith et sa soeur le 2 août 1942.
Edith Stein avait écrit au pape Pie XI au printemps 1933 pour l'informer de la situation des Juifs en Allemagne : " Comme fille du peuple juif, qui suis depuis onze ans, par la grâce de Dieu, fille de l'Église catholique " (...) " j'ose exprimer devant le Père de la chrétienté ce qui accable des millions d'Allemands. Des années durant, les chefs du national-socialisme ont prêché la haine des Juifs " et maintenant, " cette semence de haine a levé ".
" Cette idolâtrie de la race et du pouvoir étatique, martelée chaque jour aux masses par la radio, n'est-elle pas une hérésie ouverte ? ", demandait-elle. " Ce combat en vue d'éliminer le sang juif n'est-il pas un blasphème contre la très sainte humanité de notre Rédempteur, de la bienheureuse Vierge et des Apôtres ? " Edith Stein précisait que " nous, les enfants fidèles de l'Église, [...] craignons le pire pour l'image de l'Église, si jamais son silence durait encore ". Elle prévoyait de plus que le silence " ne sera pas en mesure d'acheter à long terme la paix face à l'actuel gouvernement ". Et si " la lutte contre le catholicisme est provisoirement encore menée avec discrétion ", " elle n'est pas moins systématique ".
Edith Stein fut arrêtée avec sa sœur Rosa le 2 août 1942 au Carmel d'Echt et déportée avec six cent quarante Juifs néerlandais baptisés. Ils furent assassinés en 1942 au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.
Lancelot fut particulièrement touché par la démarche de cette religieuse qui n'est pas entrée au Carmel pour philosopher mais pour vivre avec bonheur la vie quotidienne simple et exigeante d'une petite communauté de moniales vouées à la prière silencieuse, et qui se donne l'objectif, dans cette période de haine, de - selon ses mots - " se tenir devant Dieu pour tous. "
Cependant, Edith Stein reste fidèle à sa recherche qui l'habite au profond de son être. Elle est une chercheuse de vérité, une quêteuse de Graal, devenue, phénoménologue.