Magazine Journal intime

Fontayre 2

Publié le 24 août 2008 par Thywanek

J’ai eu peur. Ça y est. J’ai eu peur. Terreur d’enfant en rentrant sous la lune. En rentrant dormir là où je loge exceptionnellement cette année. Dans la grande maison du village que nous ont prêtés les Van Der B. Parce que Fontayre c’est plein comme un œuf. Il y a événement cette année. Pour des raisons de commodité évidente ma chambre de Fontayre est occupée par Monsieur le Conseiller, premier époux de F., qui est venu pour la grande occasion.
C’est que cette année nous fêtons les soixante dix ans de F.


Alors je fais plusieurs fois le chemin entre le village et Fontayre. Un petit kilomètre. Par le raccourci à travers champs. Le soir au milieu des ombres inquiétantes. La lune a beaucoup grossi ces deux derniers jours. Elle est d’une très forte luminosité. A mi parcours on traverse une zone ou les arbres d’une haie couchent leur ombre en travers du chemin de terre. C’est là que les loups attendent. Je les connais. Ce sont des loups sombres aux grognements hostiles. J’ai appris il y très longtemps a en avoir peur. A trembler. A faire semblant de ne pas presser le pas tout en le pressant quand même. Ce sont des loups aux yeux jaunes et fumants. Ils ne montrent pas les dents. On ne sent guère leurs griffes lorsqu’ils vous sautent dessus. Ils surgissent d’un bruissement de feuillage, lames découpées au rasoir, leur contours vous enveloppe d’un courant d’air souple et habile. Et j’ai compris, lorsque je les ai senti m’enrober de leur pelisse parsemée de sable de lune, qu’au moment de longer le petit cimetière du village, je penserai aux morts qui reposent et dont les pierres tombales luisent dans leur silence froid sous la clarté froide de l’astre d’argent. Mon cœur a battu plus vite. J’ai pensé à toi, qui a eu peur avec moi. Nous avons échanger prudemment quelques mots sans voix. Nous ne sommes pas si loin, l’un de l’autre. Mais la distance avale les sons. Puis je me suis tu jusqu’au portail de la maison des Van Der B. Tu étais toujours là.


Donc Fontayre cette année, plus que tous les autres étés, c’est fête. Les allées et venues des fils de F. avec leur belles épouses et leurs adorables et très éveillés enfants, de la fille de D. avec son ami, des autres amis de F. et de D. vont se synchroniser autour du jour où nous allons célébrer le soixante dixième été de la Patronne. Je rappelle, dans le discours que je lui ai préparé, que c’est le surnom que les gens aux alentours lui ont donné au début quand F. et D. ont acheté la maison et que les travaux ont commencé. La mère de F. est là aussi bien sur. Avec ses quatre vingt sept ans qui râlent par la mauvaise grâce d’une indéfectible constance. On y fait plus trop attention : on s’en partage les ronchonnements et les radotages, chacun prenant un peu de temps pour l’écouter gentiment en pure perte, et cela se dissout sans mal dans l’effervescence ambiante. Il y a à s’occuper des plats, des vins, des champagnes, de la sono, des chambres des invités à Fontayre et dans la maison du village, de la glace pour les bouteilles, des repas de la veille où nous serons déjà quinze, puis vingt personnes. A plusieurs nous gérons tout cela dans la joyeuse hystérie dans laquelle régulièrement nous vivons ce genre de situation. Il y a beaucoup de rire. De bonne humeur. D’agacements. Les ordres et les contrordres fusent. Les victuailles s’amoncellent. Les tartes aux fruits sortent des fours, les rôtis y entrent. Cuisiner les légumes du cousinât, mettre les foies gras maison au frais, compter et recompter les quantités, racheter un peu de ci, on ne sait jamais, allumer le four à pain pour les poulets. Un break par ci. Une pause par là. Un plongeon dans la piscine. Les mûres à cueillir avec les gamins. Se retrouver autour d’un apéritif. Je m’absente. Il faut que finisse le discours. C’est difficile. C’est difficile de parler de F. C’est délicat. C’est fort. C’est un peu une épreuve. C’est un plaisir. C’est un bonheur. Je ne veux pas rater ce moment. C’est important. Vingt cinq ans que je la connais. Vingt cinq ans que je suis devenu son troisième fils. Qu’elle est devenue ma mère spirituelle, et surtout ma mère en amour. Elle m’a appris l’amour. Le cœur. L’esprit. La conscience. Elle est ma plus belle rencontre humaine. Mon émotion tour à tour me gonfle d’inspiration et terrasse mon effort. Je n’arrive à rien. J’ai glaner des anecdotes, des histoires, des images auprès de chacune et de chacun. De D. son compagnon, de ses deux fils, de Monsieur le Conseiller, de ses amies, et j’en ai moi-même plein la mémoire : d’ici et de Paris. Des étés. Des hivers. De quand j’habitais Fontayre. J’ai trouvé la première image. Petit fille solitaire, élevée jusqu’à l’âge de neuf ans par sa grand mère à qui elle avait été confiée. Elle me l’a raconté. Je la vois. Elle m’a dit que parfois elle allait se promener toute seule dans les bois avoisinant d’une campagne sous l’occupation. Je l’invente avec un loup imaginaire. Un loup au yeux gris. J’invente qu’ils se parlèrent tous les deux. J’invente que tout ce qu’est F. vient de là. Des conversations du loup avec la petite fille des bois. Voilà ça va démarrer comme ça. La suite se met en place. C’est encore compliqué. Je joue de la chronologie. J’ironise. J’exagère un peu. Je me moque un peu d’elle. J’attendris. Le ton y est. Voilà ça prend forme. Je doute. Je remanie. Je relis. Je relis. Oui. Ça y est. Cela fait une semaine que j’y travaille. Une dernière fois, je relis. Que c’est ardu de te dire, F. Pourtant ça y est. Je te connais donc un peu. Beaucoup. Bien. Oui, je la connais bien. C’est bien elle tout ce qui est écris là. Et que je vais lire devant la trentaine de personne qui viennent pour cette belle fête. Oui, j’en suis sur à présent ils vont tous la reconnaître. Je suis content. Epuisé, mais content.


Belle fête. La toujours jeune femme, promue septuagénaire, danse le rock. Boit et rit. Sa belle énergie est presque intacte. Les amis sont tous là. A peu près. Tant pis pour ceux qui ont raté le rendez-vous. Les enfants se joignent aux adultes. D. fait disc jockey. De la bonne zique. Blues, rock, reggæ, flamenco, les âges se confondent. La communauté est en joie. Ça rigole, ça papote, ça ingurgite, ça se saoule, et même le ciel qui menaçait de nous mouiller le soirée s’est ravisé. Il y avait des étoiles, et une lune superbe s’est élevée dans le ciel au début de la nuit.

L’été en pente. Les jours suivants chacune et chacun, ensemble, ou seul, repart, qui vers la fin de ses vacances, qui à Paris ou ailleurs pour reprendre le travail. On range petit à petit. Un gros soleil brûlant est de retour. On se retrouve au bord de la piscine. Jusqu’au soir pour l’apéritif. On reparle de la soirée. Des cadeaux que F. a reçu : notamment un lap top et un appareil photo numérique. Attention la Patronne va débarquer sur le Net !! Deux gamins nous ont quitter avec leurs parents. On change les tournesols dans un vase par d’autres plus frais. Les tablées sont encore conséquentes. On finit les stock de champagne. On va remettre de l’ordre dans la maison des Van Der B. Discussions politiques, philosophiques, psychanalytiques, qui prolongent les repas vers le calme des siestes, ou des couchers tardifs.




Fontayre. Une nouvelle porte d’entrée a été posée. D. a construit un vraie cuisine d’été sur la terrasse. Les enfants trouvent des lucanes et les prennent précautionneusement dans leurs petits doigts pour les reposer là où les fabuleuses créatures ne craindront pas quelque écrabouillement. Les garçons vont pêcher des écrevisses au bord du lac et les remontent dans un bac d’eau. Il faut se fâcher un peu pour qu’en fin d’après midi ils veuillent bien ramener chez elles les bestioles qui ont agoniser des heures sous la chaleur. Je vais jouer avec eux dans la piscine : leur jeu favori : je les prends par la taille et je les jette en l’air, le plus haut possible, et ils retombent dans l’eau. Ils grandissent, ça devient épuisant. Au bout d’une demi-heure j’ai fait ma séance de musculation … Monsieur le Conseiller lit dans un transat. Je suis souvent le dernier au bord du bassin. Quelquefois avec D. Nous faisons un peu d’exercice. La chaleur se disloque dans le ciel.



L’horizon se mordore. Je dois reprendre le train demain matin. Ce fut court cette année. Mais ce fut. Pas une année depuis vingt cinq ans sans être aller me nourrir de ce lieu, de ses charmes, de sa douce folie, de son désordre, de l’ineffable ambiance qui y règne. Je flâne autour de la maison. Je respire les fleurs. Je ressent la possible éternité de cet endroit. Un des petits fils de F. a dit que bientôt tout ça seraient à eux, les petits enfants … Charmant bambin avisé … Ca m’a fait rire. On lui a expliqué que ça n’était quand même pas pour tout de suite … Il a bien voulu ne pas paraître trop pressé … Ouf … Ceci dit, méfions-nous quand même …

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