Empathie sans laisser d'adresse

Publié le 14 février 2024 par Tto2706

C'était entre la poire et le fromage, je ne sais plus. C'était en tout cas, comme souvent, le rituel d'avoir à parler du sujet familial sans vraiment l'aborder, tant il est acquis désormais que je n'ai plus grand chose à dire sur celles et ceux qui ont fait la preuve de leur inconsidération à mon égard et ceux dont je suis le plus proche. Dès lors [et tu peux régulièrement en trouver chronique ici], j'ai choisi de me couper d'eux, de m'affranchir de leurs chantages affectifs et de privilégier autre chose que de vieilles histoires de plus d'un demi-siècle desquelles je suis partie parce qu'ils l'ont choisi.

Or donc, ma mère a balancé d'on je ne sais où que mon oncle allait très mal, qu'elle l'avait eu au téléphone et qu'il pleurait. Impassible, j'ai fait comme je le fais de coutume, je n'ai rien dit ni n'ai réagi. Du coup, parce que mon frère était autour de la table, ma mère a remis le couvert [ce sens de la métaphore m'honore] et resservi une ration [bis repetita] comme pour enfin obtenir quelque chose de ma part.

- Tu ne dis rien !
- Non, je n'ai rien à dire.
- Tu sais, moi cela me fait la peine.
- Tu choisis de te faire de la peine.

A ce moment, mon frère est intervenu pour me dire que franchement, je pourrais faire preuve d'un peu d'empathie. Et là, cela m'a fait sortir de mes gonds.

Parce qu'en effet, habituellement et pour plein de gens, j'aurais trouvé des mots empathiques, empreints d'une humanité qui me caractérise d'ordinaire. Bref, sans jouer la comédie, j'aurais fait ce que je sais faire d'ordinaire. Sauf que là, non.
Nous parlons certes de mon oncle, mais nous parlons aussi de celui qui, deux mois avant mon mariage, m'a envoyé un message sentencieux et moralisateur, pour m'expliquer qu'il n'assisterait pas à ce mariage alors que je lui avais pourtant demandé d'en faire les photos parce que j'aime beaucoup son regard de photographe. Je voulais qu'il immortalise ce moment probablement à ranger dans les cinq jours clefs de ma vie, je voulais que nous aboutissions à ce pacte, réparant le fait qu'il a été absent pendant les seize premières années de ma vie, je voulais qu'il soit celui qui fige tout cela aussi parce qu'il parait que je lui ressemble tant. Au lieu de cela et parce que j'ai choisi d'inviter mon cousin, il m'a tourné le dos en prétextant qu'il ne pouvait accepter d'être dans la même pièce qu'un gendarme ... passant sous silence le fait que mon cousin avait pour seul défaut à ses yeux d'être le fils de son frère. J'ai vécu cela comme une trahison, renforcée par le choix des mots [puisqu'il n'a même pas eu le courage de me le dire en face ... il m'a écrit] comme "c'est irrévocable", "tu m'as menti'" et autres inepties dont il croyait rehausser le propos. Nous parlons donc de cet oncle là ...

Alors oui, depuis ce jour d'avril 2017 où j'ai lu ce qui est équipollent à un coup de poignard à mes yeux, j'ai décidé de ne plus jamais lui parler. Je crois même que des excuses, dont il est parfaitement incapable, n'y feront rien. Il m'a considérablement blessé.
Aussi, lorsque ma mère procède à un tel chantage affectif, appuyée par mon frère qui met de l'empathie là dedans [étant précisé qu'il a raison sur le fond, c'est bien d'empathie dont il est question], je suis sorti de ma réserve et j'ai donc évoqué celui dont je ne veux plus parler.

J'ai ainsi rappelé que cet oncle était désespéré surtout à raison des choix qui sont les siens. Sa solitude et la difficulté des situations ne sont qu'une conséquence directe des arbitrages qu'il a cru judicieux de réaliser, le dernier me concernant ayant été détestable. En cela, je ne vois pas en quoi il faudrait s'apitoyer, au surplus parce que ma mère, elle-même, l'avait conseillé d'agir autrement. D'ailleurs, lorsque ma mère était dans des situations difficiles et inextricables, je n'ai pas souvenir qu'il ait levé le moindre petit doigt pour l'aider ou seulement lui parler. Par ailleurs, il est assez consternant d'être pris à témoin du fait qu'il est malheureux pour sa fille alors que celle-ci ne fait pas grand chose pour s'en sortir, et ce n'est pas parce que je m'en sors mieux que je devrais culpabiliser à cet égard nonobstant ce qu'il a pu me dire à ce sujet par le passé [il parait que c'est injuste que j'ai une meilleure situation qu'elle !!!]. C'est même assez piquant venant de la part de quelqu'un qui m'a félicité de ne pas avoir d'enfant [comme s'il s'agissait d'une médaille à obtenir] et qui a regretté de ne pas avoir fait de même. Et s'agissant de l'argument atomique de l'écorché vif mis à la porte de sa famille à 14 ans, j'ai tout de même rappelé à ma mère que je ne voyais pas quelle culpabilité elle avait en la matière puisque c'était le choix - regrettable - de leurs parents. Que lui ait considéré que tout le reste de sa fratrie soit complice, c'est révélateur d'un désordre mental qu'il a, là aussi, choisi de ne pas affronter. Sauf que, comme d'habitude et parce qu'il ne vaut pas mieux que les autres, ce n'est pas par hasard qu'il en accable ma mère parce qu'il sait qu'elle est particulièrement vulnérable à ce type d'arguments.

- Ouais ouais Tto, je sais mais franchement, ça ne coûte rien de faire preuve d'un peu d'empathie. On le sait tout ça ...
- Ah mais c'est votre problème si vous choisissez de vous affecter de ce qui n'a pas lieu d'être à mes yeux puisque c'est sa responsabilité pleine et entière et qu'il n'a aucune humilité à cet égard. Il regrette des choses qu'il a faites ? Il s'est excusé de quoi que ce soit ? Ah mais non, en revanche, pour sortir les larmes, on a toujours du monde dans cette famille !
- T'es vraiment dur. Il peut aller mal et ne pas savoir comment s'en sortir.
- Bien sur qu'il le peut ... est-ce qu'il a besoin de pleurer alors qu'il a la morgue de positions ahurissantes et pétries d'orgueil ? On a passé l'âge des comportements immatures surtout quand on donne des leçons comme il sait encore le faire. Il est seul ? Il ne sait plus comment faire ? Bah, il n'a qu'à se faire aider et accepter d'affronter ses démons, ses problèmes sans pour autant expliquer à ceux qui ont encore le courage de lui parler qu'ils ne devraient plus dormir tant qu'il est mal. C'est un comble ça ... A-t-il tendu la main à ceux qui allaient mal à un moment ?
- Moi, je pense que tu as raison sur tout mais que cela n'empêche pas de faire preuve d'empathie. Il fait partie de la famille.
- Ah la belle affaire ! La famille, c'est quand cela l'arrange alors. Il dégueule sur cette famille qu'il rend responsable de tout, y compris celles et ceux qui n'y sont pour rien puisqu'ils n'étaient pas nés quand il a souffert. Qu'il ait le courage d'aller dire à son frère et ses sœurs ce qu'il pense vraiment d'eux. Certains sont déjà sous terre, il aura du mal. Moi, en 2017, j'ai eu le sentiment de n'être traité que comme un client lambda qu'on éconduit, je n'ai pas perçu le moindre sentiment familial. C'est trop facile ça ... donc non, je ne ferai pas preuve d'empathie parce que je m'en fous de ce qui lui arrive. Il l'a bien voulu, il l'a cherché et le gloubiboulga qu'il a dans la tête, c'est sa responsabilité de ne pas agir dessus. Sa fille ? Elle ne me parle pas, m'a juste dit bonjour une fois dans sa vie. Alors c'est bon ... j'ai plus d'attention à porter à des gens que je ne connais pas et qui vont mal plutôt qu'à lui, tout simplement parce qu'ils sont plus humbles et qu'ils m'ont fait moins de mal.

Devant l'impasse de ce dialogue avec mon frère, ma mère a conclu comme traditionnellement : "Je ne te dirai plus rien". Si seulement ...
En guise de conclusion, mon frère m'a fait observer que c'était terrible quand j'avais quelqu'un dans le nez parce que rien ne me faisait dévier de ma décision. "C'est fou quand même. Je te connais hein ... mais là, je sais au fond de toi que tu voudrais être empathique mais tu te l'interdis. Maman a raison, vous vous ressemblez beaucoup. Mais après, je te comprends et je partage plein de choses que tu as dites. C'est juste que quand tu as quelqu'un dans le viseur, sale temps pour lui ou elle." A cela, j'ai répondu que j'étais constant et que, bien que n'étant pas sourd, je suis suffisamment sensible pour éviter d'être blessé par les mêmes gens pour les mêmes choses.

Au fond, en cela comme en tout, je suis très attaché à la symétrie des attentions. Dire que je crois au nécessaire équilibre des relations est une autre façon de l'exprimer. Quand on y regarde de plus près, je me suis toujours détaché, brutalement ou pas, de personnes avec lesquelles je souffrais d'une asymétrie des attentions.

Tto, si peu empathique