Magazine Journal intime

Il était une fois la vie sous les eaux

Publié le 25 août 2008 par Boo
Dimanche 10 août
Il était une fois la vie sous les eaux 4h du mat’ -  Je suis réveillée sans ménagements d’un clignement de frontale dans l’œil. Vu la ponctualité du changement de quart, j’en conclus que Julie ne se porte pas mieux : en effet, elle me marmonne à peine un "nennuit, bon quart" avant de piquer une tête (verdâtre) dans sa couchette. Quand à mon chéri, il a définitivement déclaré forfait : tant que ça bouge, faudra pas compter sur lui pour bouger.  
C’est donc reparti pour 3h de veille de nuit, avec la promesse d’un lever de soleil sur le grand bleu. Mais en attendant le soleil... tu en veux des étoiles filantes ? En voilà. Par dizaines. Jusqu’à extinction des feux, et apparition des premières lueurs de l’aube. Et avec elle, droit devant, apparaissent pour la première fois les côtes corses. D’abord fumeuses, indécises, éthérées, elles se précisent enfin avant de disparaître à nouveau dans l’humidité de l’aube. Nous ne les reverrons que 10h plus tard.
07h - Que regarder d’autre, maintenant que les étoiles se sont éteintes et que l’horizon s’est vidé ? La mer, encore et toujours, qui ondule, clapote, ondule, clapote. Tiens, un aileron. Un aileron ? Dauphins à bâbord ! Nous avons à peine le temps de réveiller les deux dormeurs et de nous jeter à la proue du voilier : les deux petits dauphins nous accompagnent une minute, sautant le long de l’étrave, et disparaissent aussi soudainement qu’ils sont apparus. Ca, c’est une rencontre qu’on n’oubliera pas ! Et alors que nous en avons encore plein les yeux et plein le cœur, à peine une heure plus tard, c’est le souffle d’une baleine que nous apercevons à quelques centaines de mètres de nous. Majestueuse, solitaire, elle reste quelques minutes en surface avant de replonger silencieusement dans les profondeurs.
11h - La mer s’est calmée et les deux terrestres malades ont repris des couleurs. Sans y croire plus que ça, nous mettons une ligne à l’eau, équipée d’un gros rapala spécial pêche au gros. Parce que mon papa, pêcheur de son métier, nous l’a bien dit : "pendant la traversée, c’est obligé que vous preniez un thon !" Bon, mon papa étant marseillais en plus de pêcheur, nous n’y croyons que d’une oreille, mais qui ne tente rien n’a rien, n’est-ce-pas ?
Il était une fois la vie sous les eaux 12h30 - A exactement mi-chemin entre le continent et la Corse, à 75 milles de la côte la plus proche, soudain, un *dzzzzzzzzzzzzzzziiii* retenti. C’est le moulinet qui se dévide ! Je me jette sur la canne pour ferrer. Ok, et maintenant ? Ben maintenant il faudra juste penser à faire quelques séances de muscu, parce que je n’arrive même pas à gagner ne serait-ce que 10 cm de fil. Apparemment, au bout de la ligne se débat une bête pas très contente d’avoir mordu à l’hameçon. C’est pour cela qu’il est toujours utile d’amener une paire de bras supplémentaires à bord d'un bateau : ceux de mon chéri font tout à fait l’affaire, et moins de 10 minutes plus tard, on remonte, conquérant, un magnifique thon de presque un mètre. Oui, on était très très fiers. Et non, pas du tout honteux. Bon, ok, un peu tristes quand même. C’est une grosse bête tout de même. On en oublierait presque que c’est un poisson. Fred ne se remet toujours pas de sa peur : l’espace d’un instant, il a cru que nous avions pêché un dauphin et que son karma allait en prendre un sacré coup. Julie, quand à elle, ne veut pas entendre parler de mise à mort classique (un coup de clef de winch sur la tête). Par contre, elle a lu une astuce "méthode douce" pour tuer le gros poisson : lui verser une rasade de rhum dans les ouïes. C’est efficace (mais un peu dommage pour le rhum, quand même) et un quart d’heure plus tard, le thon est pesé (10 kg), emballé, ficelé et accroché sur la jupe arrière. Il n’y a plus qu’à penser à l’arroser d’eau de mer toutes les heures pour ne pas qu’il prenne le chaud (pas de frigo à bord, juste une glacière deux fois plus petite que le thon !).
23h - Après presque deux jours de navigation, nous voici enfin dans le port de Calvi. Assommés par trop de soleil, ballotés par une mer pas toujours très calme, épuisés par une nuit morcelée, il n’est pourtant pas encore question de dormir : ce thon, il faut bien s’en occuper, maintenant qu’il est pêché. Il était une fois la vie sous les eaux Et là, tout de même, c’est un beau moment : crasseux après deux jours en mer sans douche, à 23h30, sur le quai de Calvi, moi et Nico entamons le découpage du thon au couteau Ikéa et scie à métaux (pour la vertèbre centrale), ce qui ne manque pas d’attirer très rapidement les badauds. Mais attention ! Les badauds qui squattent la marina de Calvi les soirs d’été, c’est pas du demi-people : ce sont juste les proprios des yachts de milliardaires au milieu desquels le petit Gnome est sagement amarré. Des anglais, des italiens, en Lacoste et Armani, petit pull côtelé roulé sur les épaules, lunettes de stars en pleine nuit, les mains dans les poches, ils s’exclament "oh, wonderful tuna !" en prenant bien soin de ne pas poser leurs mocassins blancs sur la flaque d’eau sanglante qui s’étale sur le quai. Le thon est enfin découpé en une vingtaine de darnes : deux que nous mangeons illico, bien grillées et bien poivrées, et le reste, on le met dans une glacière et on s’en occupera demain ! Là maintenant de suite, il nous faudrait un triple café à l’italienne pour nous tenir encore debout...
 
Etoiles filantes, dauphins, baleine, thon, mon esprit fatigué ne sait même plus sur quel souvenir se fixer qu’il sombre déjà dans le juste sommeil du matelot débutant.

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