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Adieu l'Ami, le Samouraï a rejoint l'éternité. Delon monstre sacré du cinéma a quitté ce monde qu'il n'aimait plus.
Par Arnaud Florac
Alain Delon (1935-2024), le dernier guépard
Dans le film de Visconti, Palme d'or 63, qui a rendu Alain Delon mondialement célèbre, le prince Fabrizio Salina (Burt Lancaster) raccompagne Chevalley jusqu'à sa calèche en murmurant : " Nous étions les guépards, les lions. Ceux qui nous succéderont seront les chacals, les hyènes. " On n'est pas obligé d'être d'accord sur cette vision pessimiste de l'évolution du monde, mais on ne peut que reconnaître qu'avec la mort de Delon, c'est un des derniers grands acteurs du paysage cinématographique français qui disparaît.
Issu d'un milieu modeste, venu au cinéma un peu par hasard après avoir servi en Indochine, Delon creva immédiatement l'écran. La liste de ses films à succès est très longue et chacun a sa sélection personnelle. On pourra retenir le film fantastique Les Félins, de René Clément, où il est la victime de deux femmes dans une étrange maison, ou le célèbre Borsalino, de Jacques Deray, où il donne la réplique à Belmondo, formant officiellement un duo de légende que Patrice Leconte, bien plus tard, reprendra avec ironie dans Une chance sur deux (avec Vanessa Paradis). Autre duo, celui qu'il forma en plusieurs occasions avec Maurice Ronet, son double, en plus tourmenté : dans Les Centurions, ils incarnent deux officiers paras aux tempéraments radicalement opposés (Delon patriote tout en nuances, Ronet fanatique aimant l'odeur du sang) ; dans Plein Soleil (adapté du Talentueux Monsieur Ripley, de Patricia Highsmith), Delon est l'arriviste, Ronet l'héritier décadent ; dans Mort d'un pourri, Delon, homme d'affaires, aide son vieux copain Ronet, député corrompu, à faire le ménage dans le monde politique... et puis, il y a La Piscine, avec Ronet, Jane Birkin et, surtout, Romy Schneider.
Romy Schneider fut-elle l'amour de la vie de Delon ? Difficile à dire, tant il brisa de cœurs. Disons que le couple qu'ils formaient à vingt ans avait quelque chose de sympathique et émouvant, quelque chose qu'on voulait croire pur et éternel. " Quand je te parlais d'amoureux/C'est ceux-là que j'aimais décrire ", comme chante Jacques Brel dans L'amour est mort. Et puis Alain a largué Romy, la vie a suivi son cours. Des années plus tard, autour de cette piscine maudite et sous un soleil écrasant, digne de L'Étranger de Camus, Alain Delon avait un peu vieilli mais paradait toujours, Romy avait quelques rides au coin des yeux mais la nostalgie la rendait encore plus touchante. Retrouvailles brûlantes, pas de cabotinage " delonesque ", incertitude de soi d'un personnage pour une fois pas si solaire, La Piscine est peut-être son meilleur film. Bien sûr, il y a les films dialogués par Audiard ( Mélodie en sous-sol) ou José Giovanni ( Le Clan des Siciliens), bien sûr, il y a tous les films où il joue un policier (et qui comportent " un flic " dans le titre, comme il s'en amusait lui-même). La liste est longue.
Alain Delon était une icône, en Asie du Sud-Est. Guère étonnant : il incarnait, aux yeux du monde, quelque chose comme la quintessence du Français plein de vigueur et de joie, l'idée que le monde se fait de nous quand nous sommes fiers, maigres et percussifs, prêts à dévorer le monde. C'est ainsi que nous aussi, en deuil de ce qu'il fut depuis bien longtemps, nous voulons nous en souvenir. Regardons une dernière fois la photo sur laquelle, sapé comme un français (costume gris, cravate tricot, mocassins, clope au bec), il drague la femme de Mick Jagger, tandis que celui-ci, tête baissée, les pieds en dedans malgré ses frusques de clown, ressemble à un ado boutonneux qui n'ose pas danser. Oui, c'était le dernier guépard. Ceux qui lui succéderont, ceux qui lui ont succédé, pourront avoir le même charisme ou la même énergie. Ce sera quand même trop tard : Alain Delon a inventé le cliché d'Alain Delon.
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