Il semble que les petits Français soient les champions du bavardage et de l’indiscipline. Ils s’en plaignent eux-mêmes, mais ne se réforment pas. La chahut a toujours existé dans les classes, et dans l’enseignement d’une manière générale. Dans l’Antiquité, déjà, les professeurs pestaient contre l’inattention des élèves et leur insolence. Ainsi Libanios, un rhéteur du IVe après J.-C., grand défenseur de l’hellénisme, se plaignait de ses étudiants : « Je vois beaucoup de jeunes qui, au lieu de se concentrer sur leurs études, s’occupent de choses futiles, se permettant même de plaisanter pendant que je parle. Ils n’ont aucune honte à chuchoter entre eux, comme s’ils étaient venus ici non pour apprendre, mais pour bavarder et se divertir. Ce comportement est indigne de ceux qui aspirent à la sagesse… » Il déplorait qu’au lieu de l’écouter, ses élèves parlent de courses de chevaux ou de mimes, fassent des paris ou regardent les feuilles voler. Donc, cela ne date pas d’hier.
Mais depuis la fin des années 60, les sociologues, chercheurs, penseurs, savants et autres experts en sciences de l’éducation qui nous observent comme des rats de laboratoire distinguent entre « chahut traditionnel » et « chahut anomique ». Le chahut traditionnel, c’est celui qui vient apporter comme une respiration à un cadre disciplinaire ferme. On le compare souvent aux Bacchanales ou au Carnaval : un moment de folie qui vient faire éclater ponctuellement un cadre strict avant que celui-ci ne se reforme très rapidement. Ça, c’était « avant ». Mais le chahut anomique, c’est autre chose. Eirik Preirat décrit, dans un article fort intéressant, la différence entre les deux : les chahuts traditionnels, « ce sont des transgressions, ritualisées, circonscrites dans le temps et dans l’espace, qui témoignent, de manière paradoxale, d’une adhésion aux règles qui fondent l’ordre scolaire. Les chahuts traditionnels ressemblent aux rites de la fête de carnaval, la transgression loin d’être ignorance ou mépris de la norme participe encore de son intériorisation. Le chahut traditionnel est une pratique sociale intégratrice qui participe de l’inculcation des normes et des valeurs dominantes, alors que le chahut anomique, désordre diffus et peu ritualisé, témoigne d’une désacralisation des règles. »
Il donne plusieurs raisons à l’émergence de ce chahut anomique. On peut ne pas adhérer à l’orientation idéologique qui sous-tend ses analyses ; elles n’en restent pas moins intéressantes et, il me semble, assez justes sur certains points. Il évoque en premier lieu la massification de l’école, et nous serons, je pense, tous d’accord : « Les établissements du secondaire accueillent aujourd’hui des publics qui sont dépourvus des références et des règles élémentaires requises pour investir de manière positive leur métier d’élève. » Il revient ensuite, avant d’aborder d’autres raisons que je ne développerai pas ici, sur quelque chose qui me semble absolument fondamental, qu’il nomme « la promesse oubliée » mais que l’on pourrait aussi appeler d’une manière plus crue « l’escroquerie hypocrite » : « Il n’y a pas si longtemps, l’obtention du baccalauréat ouvrait la porte des études supérieures qui, elles-mêmes, permettaient presque à coup sûr un emploi moyen ou supérieur. » Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et les élèves sont, en réalité, maintenus fort longtemps dans ce qui ressemble à s’y méprendre à une impasse.
L’enseignement secondaire est devenu une vaste escroquerie, un mensonge si énorme que l’on se demande comment il n’explose pas tout seul et combien de temps il va pouvoir continuer à se maintenir. Les élèves ne sont pas dupes, contrairement à la plupart des parents qui continuent à regarder l’école avec les yeux et les repères de leur propre jeunesse.
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