Éric Sautou / Histoires qui n'ont pas pu / Lecture d'Angèle Paoli

Publié le 30 août 2024 par Angèle Paoli

Éric Sautou / Histoires qui n'ont pas pu
Éditions Faï fioc 2024
Lecture d’Angèle Paoli

 Aquatinte de G.AdC 

De l’haridelle… fleur des bois.

Il existe sur terre des histoires qui n’en finissent pas de commencer et qui ne se terminent jamais. Mais il arrive aussi que les histoires, même incomplètes, perdurent à travers temps. Elles vagabondent, morceaux épars, d’une génération à l’autre, se transmettant jadis de bouche à oreille, se transformant et se modifiant en fonction du locuteur ainsi que des trépignements du jeune auditeur. Il arrive parfois qu’elles s’arrêtent en chemin, qu’elles s’interrompent, laissant celui ou celle à qui elles s’adressent, dans le suspens. Ou dans le loisir de les poursuivre à leur guise. Ainsi des Histoires qui n’ont pas pu. Dont le titre à lui seul ouvre sur une indécision de la pensée.


Auteur des Histoires qui n’ont pas pu, Éric Sautou laisse à chacune et à chacun le loisir de poursuivre à son gré les récits qu’il a entrepris sans leur permettre de parvenir à leur terme ; ou au contraire de n’en rien faire, respectant ainsi leur état d’incomplétude. D’ailleurs, le poète, en grand enfant qu’il semble être, prend-il le soin de préciser en 4è de couverture qu’« un livre pour enfants ça n’existe pas », ajoutant et complétant, non sans un certain humour, cette première assertion par la suivante, plus énigmatique : « (les enfants n’existent pas) ». En effet, les enfants n’existant pas, les livres d’enfants n’ont aucune chance d’exister. Peut-être pour le poète, les enfants ne sont-ils que des adultes en miniature de sorte qu’il n’existe aucune différence entre les uns et les autres. Aucune différence entre les livres destinés aux uns et aux autres.


Pour en revenir aux histoires rassemblées dans ce dernier recueil, l’on peut s’attendre à être surpris ; à rester sur sa faim (sa fin ?) ; à s’interroger. Á quoi bon en effet se lancer dans la lecture d’un recueil, si les histoires annoncées n’ont pas abouti ? Cela risque d’en décourager plus d’un ! Á quoi bon poursuivre si elles ont renoncé - ou échoué - à dire ? Car les mots disent rarement ce que l’on cherche à leur faire dire. Hé bien justement ! Tout le talent du poète réside dans ce suspens. Histoires qui n’ont pas pu. Avec beaucoup d’humour, le poète joue. Peut-être se joue-t-il aussi de nous, lecteurs, de nos attentes et nos us bien rôdés de lecture. Nous, à qui il propose de poursuivre à notre gré et selon notre sensibilité, les histoires qu’il a commencées puis qui se sont abandonnées d’elles-mêmes en cours de route. Á chacun de les reprendre. De donner une suite possible au poème. Ou au contraire de n’en rien faire. Ne pas tout dire. Ne pas dire. Laisser aux mots la liberté d’aller leur chemin. De rejoindre leur cible. Et à la lectrice éblouie, le plaisir de savourer le suspense.


Je lis et je relis Éric Sautou sur la plage, au milieu du fracas des vagues et du vague brouhaha des voix et rien ne peut me distraire de ma lecture. Il arrive même que je rie et que je me lance dans une lecture à voix haute. Pour faire résonner autrement les poèmes, pour leur donner une chance de se prolonger au-delà des mots-mêmes. D’aller au-delà du silence. Le silence, quelle que soit la forme qu’il prend, est souvent chez Éric Sautou, le personnage principal. Et l’attente, son principal corollaire. Tous les autres – « Monsieur Récamier », « Monsieur et Madame Simonin », « Valentine la poupée » - … ne sont là que de passage. Plus d’une fois, le propos s’interrompt, prolongé par des points de suspension.


Annoncées par un titre, les histoires prennent pourtant le temps de s’inscrire sur la page, tantôt réduites à quelques phrases, parfois même à une seule ; d’autres fois un peu plus développées mais tout aussi singulières. Les mots sont simples, les situations familières, parfois même ordinaires. Les interrogations sont celles de la vie courante. Á quoi tient qu’elles nous surprennent ? Qu’elles nous saisissent ? Qu’elles nous font sourire ? Le plus souvent, à une forme de décalage. D’inattendu. Qui nous laisse dans le suspens, justement. Comme dans ce poème dont seul le titre éclaire le propos :

« Je l’ai toujours connue.

Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai pensé :
Alors te revoilà ! » (in « La Mer et Moi »)

Ou dans cet autre, construit sur la musicalité de la répétition et de ses variations. Pour moi, la fine fleur de la poésie :

« Où qu’elle portât son regard, n’était offert à sa vue
que neige qui tombe, neige tombée.

Neige qui tombe, neige tombée…

Il neigeait en silence sur la neige tombée. » (in « La fille neigée »)

Les dialogues, lorsqu’il y en a, se résument parfois à une amorce. Qui parle à qui ? On ignore tout du contexte, du lieu, de ce qui a précédé et de ce qui va suivre. Ou alors, les échanges tournent court, dans un marmonnement à la Ionesco. Ou à un tour de passe-passe à la Tardieu. Parfois jusqu’au bord de l’absurde. Dans un questionnement qui prend par surprise. Et pourtant, pas si absurde que cela :

« Qu’y a-t-il dans l’œuf ?
Quelque chose – ou peut-être quelqu’un.

L’agiter (maintenant lui parler).
Qui est là ?
Dans l’œuf secoué rien ne bouge ni ne répond.
Qui est là ? (in « L’œuf où nous sommes ») »

Il arrive aussi que le contexte soit détourné par un titre-écran. Ainsi dans le décor boisé du « Renard ou Lapereau ». Où il n’y a ni l’un ni l’autre. Mais ce n’est pas la seule perplexité. Les mots ont-ils le même sens pour tout le monde ? Je m’interroge. Pour moi une « haridelle » est un mauvais cheval. De type rossinante. Une haquenée. L’un et l’autre mot – haridelle/haquenée/Rossinante - ont un sens péjoratif lorsqu’ils désignent une femme. Éric Sautou fait de l’haridelle une fleur des bois, aux couleurs indéfinissables, hésitant entre le bleu et le mauve. Elle est assortie de lumière dans un poème où tout était sombre. En réalité, tout échappe. Rien ne se laisse appréhender ou saisir de manière claire. Les mots sont ambivalents, qui désignent tout autre chose que ce qu’en dit le dictionnaire. Ou de ce qu’annonce le titre du poème. De sorte que nommer donne sur une autre réalité. Les noms propres – noms de pays de fleuves ou de personnages – ouvrent en quelques vers sur un imaginaire inédit. Inouï. Sidéral. Alors même qu’ils sont poursuivis, les lieux échappent. Dont les noms sont insaisissables. Ils se dérobent, laissant place à la seule attente. Ou alors au vide. De sens d’objet de compréhension:


« Il ne se souvenait de rien.
Pas même qu’il y eut des mots pour dire ces choses
(d’avoir été). » (in « La nuit d'ici »)

Les personnages eux-mêmes doutent de leur identité. Évanescents, voués à disparaître aussitôt que surgis, à s’effacer sans bruit, les êtres sont des apparitions. Ainsi de ce « garçon qui n’en finissait pas ». Qui n’en finissait pas de compter. Quoi ? Rien. Et qui revient par trois fois poursuivre sa litanie de chiffres interminable. Réels irréels, sans cesse réduits à s’interroger sur leur identité, les êtres flottent dans le paysage, s’absorbent en lui, se confondent et fusionnent. Certains lieux évoquent l’Hérault. Ses plages et ses dunes de sable fin, son arrière-pays et ses paysages spécifiques. « La Tamarissière ». « Navacelles ». Mais il ne faut pas s’y fier. Les lieux aussi se dérobent à toute identification géographique précise.
Au bord du sommeil, les visages s’estompent puis disparaissent. Laissant la scène de théâtre dans le mystère et la tendre incertitude de leur présence-absence :

… « (un temps)

Tu es toujours là ?
Je serai là - toujours.
Tu penseras toujours à moi ?
Je penserai toujours à toi.
Tu n’oublieras pas mon visage ?
Je l’ai déjà un peu oublié.
Et ma voix ?
Je l’entends mais c’est déjà une autre voix.
Voix et visage alors s’en vont ?
Voix et visage s’en vont. » (in « Je suis là »)

Avec Histoires qui n’ont pas pu, Éric Sautou s’affirme en maître de la poésie onirique.

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 Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
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   É R I C   S A U T O U

Ph. Sébastien Solidon
Source

■ Éric Sautou
sur Terres de femmes ▼


Grand Saint Vincent, Éditions Unes 2023, lecture d’Olivier Vossot
→ Beaupré (lecture d’AP)
→ [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
→ [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
→ La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
→ [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
→ La Véranda (lecture d’AP)
→ [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
→ (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou