La Phénoménologie - 4

Publié le 06 août 2024 par Perceval

Sur notre spirale, nous continuons d'avancer vers le centre...

Lancelot propose une expérience simple : il place sur la table, une pomme, prise dans la corbeille, avec cette question : Qu'est-ce qu'une pomme ?

L'idée de pomme - Yoko Ono

Elaine joue le jeu et répond : - " C'est un fruit rond, rouge, et jaune. Il se mange, il a un goût sucré et croque sous la dent. "

- Bien... Et, sans-doute qu'un étranger qui n'aurait jamais vu de pommes, aurait une autre représentation ; et sûrement que Socrate ( notre chat... - Pourquoi se nomme t-il Socrate ? - Parce-que l'un et l'autre n'ont rien écrit!) également, le chat ne voit pas les couleurs et ne goûte pas les pommes.

Elaine conclue :- la perception de l'objet est lié à notre corps, à notre relation avec lui. Ils nous semblent des réalités objectives, alors que c'est nous qui définissons ce qu'il sont.

Husserl ajoute que - continue Lancelot - si je ferme les yeux ; j'oublie cette pomme là, et je pense la notion ''pomme'', j'abandonne sa variété, sa couleur... J'en arrive à l'idée, l'essence : pomme.

La représentation mentale d'un objet n'est pas une image objective, elle porte la marque du sujet qui la produit. Cette représentation est dite intentionnelle, elle exprime le sens que j'attribue aux choses.

Husserl prend le parti de s'occuper des ''phénomènes '', pour en extraire les essences. Et avec cet objectif, il propose une démarche de pensée, en quatre étapes :

1 - L'Epoché : je commence par suspendre mes croyances et mes jugements sur l'objet. Je met entre parenthèses tout ce que je sais déjà sur la pomme.

2 - L'Intentionnalité ( note 1): j'explore de quelle façon ma conscience se dirige vers la pomme : la part des sensations, de ma compréhension, de mes interprétations...

Note 1 - " Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière et générale qu'a la conscience d'être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même. " E. Husserl, Méditations cartésiennes.

3 - La recherche des essences. En quoi cette pomme est une pomme, peut-être sa fonction d'être.

4 - Retour à l'expérience : comment se construit, la compréhension de cette pomme.

L'exemple de la pomme ne permet pas d'aller très loin dans le cours de cette '' réduction transcendantale '' . Il nous invite à comprendre comment nous connaissons le monde, au-delà des apparences immédiates.

Cette méthode devrait pouvoir s'appliquer à tous les phénomènes mentaux : souvenirs, rêves, valeurs, expérience esthétique, croyances religieuses, relation à autrui.

Husserl aurait dit : " Nous voulons retourner aux choses elles-mêmes (auf die "Sachen selbst" zurückgehen) ", ce qui signifie plutôt un retour aux '' actes de conscience'' des phénomènes.

En effet, ''choses'' fait penser à des objets que nous percevons visuellement ; les choses, ici, sont les ''phénomènes'', et ils peuvent être matériels, psychologiques, sociaux, culturels, spirituels... etc Ce pourrait être des objets irréels de notre conscience.

Si le phénomène réclame, de notre part, une suspension ( époché ), c'est parce que nous considérons qu'il est le plus souvent ''voilé''.

Paul Ricoeur

Elaine fait allusion à une conférence de Ricoeur, sur la phénoménologie et qui explique bien comment cette méthode peut aussi bien servir un certain réalisme ( la réalité existe indépendamment de notre conscience ), ou un idéalisme comme pour Husserl, peut-être, qui considère que la conscience est au cœur de la réalité et que les objets du monde extérieur sont essentiellement des constructions mentales.

Plus précisément, ses notes prises au cours de cette conférence, reprennent ces mots de Ricoeur :

" A partir de 1907, la phénoménologie de Husserl est dominée par la réduction de l'existence: les objets perdant toute réalité absolue ne sont plus que des vis à vis de conscience, ce '' ne que '' devenait l'essentiel. Dès lors c'est la conscience qui devenait l'absolu et c'était les les objets qui devenaient relatifs, ainsi après avoir été tiré du côté d'un réalisme des essences, la phénoménologie était tirée du côté d'un idéalisme de la conscience ; et si Husserl appelle ''transcendantale'' cette réduction, ce n'était pas par hasard qu'il reprenait le mot Kantien, rappelant par là même qu'il était du côté de l'idéalisme c'est à dire du côté d'une philosophie pour laquelle la conscience est par elle-même, par sa constitution propre, l'origine et la condition de toutes les propriétés des choses. Et pourtant la phénoménologie ne pouvait pas plus virée à l'idéalisme que jadis au réalisme, son thème même de l'intentionnalité qui était son étoile directrice depuis le début, l'empêchait de basculer d'un côté ou de l'autre sous le poids de la méthode. C'est plutôt une voie nouvelle entre l'un et l'autre écueil, que la phénoménologie a finalement tenté de tracer. "

En conclusion, Ricoeur pointait le paradoxe suivant :

" ce paradoxe qui fait qu'il n'y a de monde que pour une conscience, et que pourtant la conscience n'est pas créatrice du monde mais qu'elle est au monde par son corps par toutes ses fibres perceptives affectives actives bref, ce paradoxe qu'il n'y a de monde que pour une conscience mais que pourtant je suis au monde ; voilà le paradoxe qui est finalement au centre de la phénoménologie et qui est sa découverte la plus précieuse. C'est de ce paradoxe que vit aujourd'hui le mouvement phénoménologique ... "

Ensuite, ajoute Lancelot, Heidegger se demande ce qu'est : '' être '' - sachant que '' je suis, donc j'existe '' ne suffit pas - et qu'être pour un homme, est différent de ce que peut l'être pour une pierre ou pour un animal. Heidegger différencie le vivant de l'existant, l'homme se différenciant de l'animal, en ce qu'il est un être qui existe, c'est-à-dire qu'il est présent au monde, à son passé dans le monde ( avoir été) et à son futur sous forme de projet ( être possible), qu'il s'interroge sur son être et qu'il lui incombe de choisir l'existence qui sera la sienne... Heidegger introduite la notion de '' Dasein '' ( être là ) c'est à dire l'ouverture ( Da) à l'être ( Sein). On peut lire également ce passage, ici : 1947 - Martin Heidegger - Les légendes du Graal (over-blog.net)

Sartre découvrant la phénoménologie, affirme '' L'Existentialisme est un humanisme. '' et que ce n'est qu'au terme de mon existence que l'on pourra dire ce que je fus : " l'existence précède l'essence ".

Il semble bien que la phénoménologie soit la philosophie de notre temps...