Doina Ioanid / Une obscurité remplie de lumière

Publié le 04 septembre 2024 par Angèle Paoli

<<Poésie d'un jour

                 

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Fenêtres à Amsterdam.   D’autres fenêtres   que celles    avec les filles, des
fenêtres allumées   au-delà   de l’immense acacia   qui dépasse la maison à
trois étages, des fenêtres-boîtes, des caisses vitrées et éclairées, des caisses
avec des histoires d’orphelins    dans la cour du    Musée d’Amsterdam. Et
d’autres caisses  avec des histoires de    familles    fortunées et généreuses.
Musée avec des caisses raconteuses. Je me souviens du coffre du lit contre
lequel je m’adossais lorsque je lisais.   Le coffre  capitonné accompagnant
mes lectures. Et à nouveau, c   es caisses-boites-vitrines avec des histoires.
Des fenêtres avec des fromages,   un musée du fromage,  des fenêtres avec
des dentelles,    des chaussures Saint-Crispin   faites à la main (de grandes
pointures pour hommes grands), des fenêtres avec des canapés confortables,
garnis de coussins.   Des fenêtres avec des lampes de nuit parmi les arbres,
fenêtres-façades.    Et tout à coup me reviennent les fenêtres de synagogue
peintes pas Chagall.   Des fenêtres que je collectionne de partout ainsi que
des livres, des lettres ou des cartes postales.


Des petites fenêtres à l’arrière de la maison comme des carrés éclairés dans
ces jours d’hiver.   J’ai toujours aimé   ces petites fenêtres,     par lesquelles
je regardais    comme par une lunette les autres,    car elles donnaient     sur
d’autres jardins. Je me tenais    perchée sur le tabouret   et les regardais. Et
chaque jour j’avais un petit film.    Tantôt,  c’était assez ennuyeux, travaux
quotidiens,    tantôt c’était plus animé,    rencontres de parents, cris de joie
ou jurons.   Et un jour,    je ne sais pas comment c’est arrivé, la petite vitre
du garde-manger s’est assombrie.    Elle s’obstinait à rester    cendrée. Un
gris cendré et graisseux à me donner le tournis, voire la nausée.

Lorsque le cadre    des fenêtres était encore     en bois, nous avions
une autre relation au bois. Nous l’essuyions,  nous en suivions les fissures,
les bouchions au mastic, les peignions.    Les fenêtres dont  nous prenions
soin faisaient partie de notre vie.    C’était quelque chose de normal, aussi
normal que les saisons et leurs fêtes.    Puis,     nous y mettions    de petits
rideaux ou des dentelles.    Et ils n’oubliaient     jamais  leur raison d’être.

Doina Ioanid, « Les poèmes des fenêtres » in Une obscurité remplie de lumière
Traduit du roumain par Jan H.Mysjkin, Préface Carmen Muşat, Éditions Lanskine 2024, pp.13,18,19.

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