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Au sujet de Paris Tonkar…

Publié le 06 septembre 2024 par Paristonkar @ParisTonkar
sujet Paris Tonkar…

AVANT-PROPOS

Après plus de trente ans, l’édition originale de 1991 de mon livre est de nouveau disponible. Le public a changé, l’engouement pour le graffiti s’est accru et les institutions en France ont fini par reconnaître à cet art le droit de cité, mais dans ce nouveau paysage, il manquait le livre qui a marqué toute une génération dans notre pays et à travers le monde.

L’idée de faire un livre sur les graffs et les tags à Paris vient de moi. Entre 1985 et 1986, j’ai découvert cette nouvelle forme artistique à Londres puis sur la Petite Ceinture, au niveau de la Porte de Vanves. J’ai aussi commencé à en faire dans mon coin, en imitant surtout le style anglais, puis j’ai créé un groupe avec un ami, les NSI (New Style Invasion). Début 1987, j’ai acheté les deux ouvrages de Henry Chalfant sortis chez l’éditeur britannique Thames & Hudson : Subway Art (en collaboration avec Martha Coper – 1984) et Spraycan Art (avec James Prigoff – 1987). En lisant ces deux livres, j’ai eu le déclic : « Et si j’écrivais un bouquin sur le même sujet, mais sur la France ?! »… Cela est vite devenu une obsession. Dès 1988, j’en ai parlé à mes copains avec qui je taguais en leur proposant de l’écrire à plusieurs. Personne n’a souhaité participer directement, mais aucun d’eux ne m’a découragé dans cette drôle d’aventure, assez folle.

Sylvain était une connaissance de collège : il habitait non loin de ma cité (Pierre Valette ou « PV », un endroit plutôt sordide avec une mauvaise réputation et qui craignait pas mal sauf pour ceux qui y vivaient comme moi). Bref, j’ai appris qu’il était assez actif au niveau du tag par des amis en commun. Au bout de quelques rencontres, je lui ai proposé de travailler avec moi. Il a accepté sans trop se poser de questions… Je suis convaincu, avec les années, que ce projet a été possible parce qu’il m’a suivi jusqu’au bout. Nous sommes devenus réellement amis à ce moment-là et nous avons commencé à bosser au début de 1989, même si de mon côté j’avais déjà bien avancé dessus.

Le choix des images a été dicté par les circonstances (mes rencontres et la période où je prenais des photographies dans le métro) ainsi que les moyens à notre disposition : nous étions au début des années 1990 : il n’y avait pas les outils de communication d’aujourd’hui et l’ère du numérique n’en était qu’à ses balbutiements. Ce sont les deux seules explications de la présence « importante » de certains crews dans Paris Tonkar. Il ne faut pas en chercher d’autres ou encore s’imaginer que j’avais dans l’idée de promouvoir untel plus qu’untel… Dans le feu de l’action, je n’imaginais pas l’impact qu’aurait ce livre des années plus tard ! J’ai donc croisé Oeno et Nasty dans le métro, ils m’ont aidé en me présentant à d’autres writers : leurs proches, forcément… Nous étions de la même génération. En parallèle, j’ai rencontré de nombreux pionniers du mouvement comme Bando, Darco ou Blitz, mais ils ne peignaient déjà plus dans le métro à cette époque. De plus, ils ne souhaitaient pas forcément que je m’attarde sur cette période de leur vie. D’autres anciens ne voulaient pas entendre parler de mon projet pour des raisons parfois incompréhensibles et certains, très actifs durant cette période, préféraient rester dans l’ombre pour ne pas attirer l’attention sur eux. Tout cela pour dire que, par exemple, la partie métro est plus factuelle qu’exhaustive parce que je n’avais pas ce désir de montrer tous les métros qui avaient été peints depuis 1984. En avais-je les moyens ? Non, et cela ne m’avait pas traversé l’esprit à cette période. Enfin, mes capacités financières étaient très limitées, tout comme celles de mes parents (je me suis lourdement et durablement endetté pour faire ce livre !) et il faut se rappeler qu’il n’y avait ni portables, ni Internet et pas d’appareils photos numériques. Nous étions obligés de faire avec…

La question du choix de la sélection des artistes présents dans livre m’a souvent été posée et je dirais ceci : Paris Tonkar est un éclairage sur le graffiti parisien au début des années 1990 et nous n’avions pas l’intention de mettre tel ou tel crew en avant, mais l’envie sincère de parler du plus de monde possible… Un seul regret : j’ai laissé la banlieue de côté alors que j’y habitais et que mes références dans ce domaine étaient plutôt celles du sud de Paris. Avais-je la conscience d’écrire un livre « culte » en 1990 ? Non, bien sûr que non !

Dans une nouvelle édition revue et corrigée de Paris Tonkar (en projet maintenant que cette édition originelle est enfin republiée), je compte bien rééquilibrer le contenu et, cette fois-ci, mon objectif est d’écrire un ouvrage plus exhaustif et moins factuel. La partie métro sera surprenante car je suis souvent allé dans des dépôts et des endroits insolites, mais pas avec ceux que l’on imagine ! Un proverbe arabe dit ceci en substance : ta langue est ton destrier, si tu la retiens, elle t’apportera du Bien et si tu la lâches, elle ne t’apportera que du Mal… Je suis resté assez discret sur cette période et je pense qu’il est temps de clarifier les choses et de réparer les « vrais oublis ».

Paris Tonkar est une émanation de son époque, tout comme les deux livres de Henry Chalfant qui ont su capter des moments de l’histoire du graffiti à New York – lui-même le reconnaît et il me l’a confirmé lorsque je l’ai rencontré au musée du Bronx pour l’interviewer. Nous avons écrit un livre avec notre regard et la connaissance que nous avions du sujet par notre pratique. C’est un livre empirique et certainement pas un catalogue destiné à de l’autopromotion ! Si certaines personnes ont su utiliser Paris Tonkar pour mieux vivre ou se faire connaître, tant mieux. Pour ma part, je n’ai tiré que très peu de bénéfices de ce livre… Peut-être un seul : celui de l’avoir fait !

Concernant la partie « tags », je trouve qu’elle est assez conséquente, malgré tout, sachant que nous avions, Sylvain et moi, une attirance plus prononcée pour les tags que les graffs. Au début des années 1990, c’est aussi l’explosion des murs peints et des grandes fresques dans les terrains vagues et dans quelques espaces autorisés : Stalingrad n’est plus l’unique endroit où les writers se retrouvent. Je pense que nous avons réussi à montrer de nombreux peintres différents dans la partie consacrée aux crews avec les moyens qui étaient les nôtres. Il ne faut pas oublier qu’au moment où nous écrivions notre livre, deux photographes travaillaient sur le même type d’ouvrage pour le compte d’un grand éditeur avec un budget important et du matériel de professionnel. En février 1991, lorsque j’ai croisé l’un d’eux à Quai de la Gare, il me dit avoir rencontré une dizaine de writers et que son éditeur se contentera d’une trentaine au plus… À cette époque, j’avais plus ou moins croisé entre 150 et 200 personnes, pris dix fois plus de photos qu’eux sans avoir signé de contrat avec un éditeur, et avec une dette « astronomique »… Que dire de plus ?! Je peux l’affirmer maintenant : si Paris Tonkar n’était pas sorti en 1991, nous aurions eu un premier livre sur le graffiti français très consensuel qui aurait effectivement mis à l’écart presque tout le monde, avec peu de tags et un ou deux métros pour montrer l’aspect vandale sans le développer. Nos moyens étaient, somme toute, assez limités. Je ne suis pas en train de me plaindre, mais il est important de juger les choses à l’aune de cette époque où émerge la « seconde génération » de writers en Île-de-France et la première en Province. J’ajouterai que quatre raisons expliquent l’absence de certains dans notre livre : le refus de quelques-uns d’y figurer (ils sont assez peu nombreux), ceux qui voulaient être payés pour figurer dans le livre (plus nombreux que l’on imagine), l’oubli tout bêtement et surtout la difficulté de retrouver certaines personnes. C’est aussi simple que cela. Je comprends les questions que certains se sont posées après la sortie du livre et les regrets de ceux qui n’y sont pas.

Le magazine 1-Tox est, à l’origine, une idée lancée par Sylvain, Florent Massot et moi lors d’une soirée dans un bar parisien après avoir bossé sur la maquette de notre livre. Paris Tonkar sort en librairie et le succès est au rendez-vous, mais comme je suis occupé à rembourser mes dettes et à étudier, Florent Massot développe cette idée avec d’autres personnes en me tenant au courant et en me demandant parfois mon avis. Durant la même période, Romain Pillement (l’autre éditeur et marchand d’art) me propose de monter une grande exposition sur le graffiti avec des writers français et américains (je connaissais JonOne et Futura) : j’ai participé en le mettant en contact avec les Français et en trouvant l’idée de l’affiche. Une fois l’exposition ouverte au public, je suis plus ou moins remercié et l’on me fait comprendre que cela ne me concerne plus. J’ai perdu quatre toiles dans cette histoire, comme d’autres… Avant la sortie du premier numéro, Sylvain a été écarté par ceux qui y bossaient et qui gravitaient autour de Florent Massot. J’ai résisté jusqu’au quatrième numéro ! Pour le cinquième numéro, ils ont utilisé mes photographies en oubliant de me citer… J’ai été bénévole sur l’exposition et sur le magazine : on m’a remercié en me dénigrant et en me dégageant de ces deux projets. C’est pourquoi, j’ai préféré prendre mes distances avec certaines personnes en 1993 pour garder une relation amicale avec Florent. L’aventure Paris Tonkar et 1-Tox s’est ainsi terminée pour ne renaitre qu’en 2010 à travers un nouveau magazine en compagnie de Yann Cherruault et Helios.

En 1991, je n’imaginais pas écrire le seul livre qui a aborderait le graffiti en France d’une manière globale et analytique. D’autres livres excellents sont sortis des années plus tard… Dix ans plus tard ! Je vous souhaite une excellente lecture pour celles et ceux qui vont découvrir Paris Tonkar pour la première fois et adresse une pensée à ceux qui ont permis que tout ceci existe.


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