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Du côté de la vie
Publié le 21 septembre 2024 par Jlk
(Le Temps accordé. Lectures du monde VII, 2024) À La Désirade, ce jeudi 19 septembre.– Il est 8h du matin par grand ciel bleu, je me suis réveillé, déjà, à 5h du matin, et c’est à ce moment que j’ai eu l’idée d’appeler ce moment le Moment de l’Être, un moment-charnière, un moment qui fait le lien entre le subconscient et la conscience, un moment où le langage venu d’ailleurs afflue, un moment où l’on dirait que l’être même devient langage, un moment qui est en somme le pur moment de la poésie.C’est en effet dans cet état, qu’on pourrait dire, après Haldas et Baudelaire l’état de poésie, le moment de l’involontaire inspiration, le moment de l’émergence du langage, ce moment que je cherche aussi et trouve dans la littérature, dans la poésie, comme la cristallisation de l’être, de la beauté et de la radieuse effusion à mélodies...L’être est, à ce moment-là, « parole de la parole ». J’emprunte cette formule, qui semble tautologique, aux commentaires de la Commedia de Dante, dans les entretiens intitulés La Divine comédie non sans outrecuidance, signés du seul nom de Philippe Sollers alors que Benoît Chantre, son interlocuteur, y est d’une intense présence et parfois contradictoire à bon escient - formule qui semble apparemment du verbiage et qui correspond pourtant à une expérience vécue de la conscience et de la parole, renvoyant ici doctement, par Heidegger et ses bretelles à la tyrolienne, à Parménide et Héraclite.C’était donc ce matin à 5h, à fleur de sommeil, mais je le vis tous les jours, tous les jours je retrouve ce moment, et désormais, je vais concentrer la suite de mes carnets, mes carnets de 2021 en décembre, après la mort de Lady L., et mes carnets d’aujourd’hui, en septembre 2024, en alternance soumise à la même quête simple et limpide, du moment poétique. Ce sera ces prochaines semaines, ces prochains mois, si je survis à ces prochains jours, le fil rouge de mon travail…Je pense à Lambert Schechter mon ami, qui se soumet au même genre de discipline quotidienne, je pense à mon amie la Professorella, dont le récit de vie ne laisse de m’inciter à ne pas me payer de mots, je pense à ceux qui me lisent tous les jours - ce que j’écris recoupant de plus en plus précisément ce que je vis - telles étant aussi bien mes Lectures du monde, et maintenant, je vais me faire du café…À La Désirade, ce vendredi 20 septembre. – C’est demain, il y a trois ans de ça, que l’ami Roland boit la ciguë, ou plus exactement son fameux sirop mexicain, ma bonne amie m’avait appris la nouvelle qu’elle tenait d’un gratuit, j’en avais été impressionné plus que triste - respect Roland, enfin tu t’es montré conséquent – et trois mois après c’était elle, sans avoir jamais flirté avec l’idée de suicide alors que « la vie » se montrait avec elle d’une effroyable cruauté, qui nous quittait en douceur et sans trop de douleurs, tout cela me revenant par l’insomnie de cette nuit de 2 à 3 heures du matin, où j’ai passé de la plus sombre déprime à une sorte de retour de gaîté faisant écho à l' habituel « c pas grave », de Lady L. quand tout était tellement désespérant que la conclusion à la Pollyanna, personnage dont la psychologie l’avait toujours hérissée, devenait son leitmotiv gravement comique – hein quoi, la tuile nous arrive dessus, mais tant que ce n’est pas le toit entier qui menace, c pas grave, hein quoi ?À Roland j'avais « dealé » plusieurs fois du Stilnox, plus accessible en Suisse qu’à Paris, mais je n’ai jamais subi moi-même la hantise froide de l’insomnie, sauf parfois sous l’effet de la lune – comme cette nuit précisément -, et cette fois c’est presque avec curiosité, comme sous l’effet de je ne sais quelle drogue genre mescaline chez un Henri Michaux, que j’ai observé mon transit mental entre désespoir à métastases personnelles (ma nullité de vieille peau ) et mondiales (la société massifiée et vile, partout l’effondrement et la médiocrité réseautée, l’épouvantable Poutine à gueule de vampire et l’abominable patriarche de Moscou concentrant sous sa mitre d’inquisiteur tous les vices de l’hypocrisie cléricale, sans parler de l’ignoble Donald aux troupes imbéciles), et soudain, comme j’ai toujours opposé mon bon naturel au nihilisme de Roland trop gavé de Schopenhauer et autres, le « c pas grave » de ma bonne amie m'est revenu comme un lutin ludique en me faisant valoir l’insupérable beauté candide de notre petite dernière, et l’allègre rebond de nos lascars de cinq et sept ans crépitant de vie bonne entre moutons de laine et sauterelles, enfin basta là-dedans, foin de plaintes loin de Gaza, assez de lamentations et reprenons un peu de cette excellente tarte aux pruneaux de notre querida Hermana Grande… No, la desesperación no pasará, seguimos, con nuestros queridos difuntos, más vivos en muchos sentidos que tantos sonámbulos y otros zombies, del lado de la vida...