UN SOURIRE avec LA PARTIE DE CARTRES DE PAGNOL

Publié le 27 août 2008 par Osmose

Tu me fends le cœur !
Reprise de cette célèbre phrase prise et tirade d’une encore plus célèbre pièce de Marcel Pagnol, écrivain, dramaturge, cinéaste et académicien français, né le 28 février 1895 à Aubagne et mort le 18 avril 1974 à Paris «  la partie de cartes »


Histoire de remettre un sourire sur certains visages .....


Marius

Acte Troisième

Il est neuf heures du soir. Dans le petit café, Escartefigue, Panisse, César et M. Brun sont assis autour d'une table. Ils jouent à la manille. Autour d'eux, sur le parquet, deux rangs de bouteilles vides. Au comptoir, le chauffeur du ferry-boat, déguisé en garçon de café, mais aussi sale que jamais.


Scène 1

(Quand le rideau se lève, Escartefigue regarde son jeu intensément, et, perplexe, se gratte la tête. Tous attendent sa décision.)


Panisse (impatient)

Eh bien quoi ? C'est à toi !


Escartefigue

Je le sais bien. Mais j'hésite …

(Il se gratte la tête. Un client de la terrasse frappe sur la table de marbre.)


César (au chauffeur)

Hé, l'extra ! On frappe !

(Le chauffeur tressaille et crie)


Le chauffeur

Voilà ! Voilà !

(Il saisit un plateau vide, jette une serviette sur son épaule et s'élance vers la terrasse.)


César (à Escartefigue)

Tu ne vas pas hésiter jusqu'à demain !


M. Brun

Allons, capitaine, nous vous attendons !

(Escartefigue se décide soudain. Il prend une carte, lève le bras pour la jeter sur le tapis, puis, brusquement, il la remet dans son jeu.)


Escartefigue

C'est que la chose est importante ! (à César) Ils ont trente-deux et nous, combien nous avons ?

(César jette un coup d'œil sur les jetons en os qui sont près de lui, sur le tapis.)


César

Trente.


M. Brun (sarcastique)

Nous allons en trente-quatre.


Panisse

C'est ce coup-ci que la partie se gagne ou se perd.


Escartefigue

C'est pour ça que je me demande si Panisse coupe à cœur.


César

Si tu avais surveillé le jeu, tu le saurais.


Panisse (outré)

Eh bien, dis donc, ne vous gênez plus ! Montre-lui ton jeu puisque tu y es !

César

Je ne lui montre pas mon jeu. Je ne lui ai donné aucun renseignement.


M. Brun

En tous cas, nous jouons à la muette, il est défendu de parler.

Panisse (à César)

Et si c'était une partie de championnat, tu serais déjà disqualifié.


César (froid)

J'en ai souvent vu des championnats. J'en ai vu plus de dix. Je n'y ai jamais vu une figure comme la tienne.


Panisse

Toi, tu es perdu. Les injures de ton agonie ne peuvent pas toucher ton vainqueur.


César

Tu es beau. Tu ressembles à la statue de Victor Gélu.


Escartefigue (pensif)

Oui, et je me demande toujours s'il coupe à cœur.

(A la dérobée, César fait un signe qu'Escartefigue ne voit pas, mais que Panisse a surpris.)


Panisse (furieux)

Et je te prie de ne pas faire de signes.


César

Moi je lui fais des signes ? Je bats la mesure.


Panisse

Tu ne dois regarder qu'une seule chose : ton jeu. (à Escartefigue) Et toi aussi.


César

Bon. (Il baisse les yeux vers ses cartes.)


Panisse (à Escartefigue)

Si tu continues à faire des grimaces, je fous les cartes en l'air et je rentre chez moi.


M. Brun

Ne vous fâchez pas, Panisse. Ils sont cuits.


Escartefigue

Moi, je connais très bien le jeu de manille, et je n'hésiterais pas une seconde si j'avais la certitude que Panisse coupe à cœur.


Panisse

Je t'ai déjà dit qu'on ne doit pas parler, même pour dire bonjour à un ami.


Escartefigue

Je ne dis bonjour à personne. Je réfléchis à haute voix.


Panisse

Eh bien ! Réfléchis en silence … (César continue ses signaux) Et ils se font encore des signes ! Monsieur Brun, surveillez Escartefigue, moi, je surveille César.

(Un silence. Puis César parle sur un ton mélancolique.)


César (à Panisse)

Tu te rends compte comme c'est humiliant ce que tu fais là ? Tu me surveilles comme un tricheur. Réellement, ce n'est pas bien de ta part. Non, ce n'est pas bien.


Panisse (presque ému)

Allons, César, je t'ai fait de la peine ?


César (très ému)

Quand tu me parles sur ce ton, quand tu m'espinches comme si j'étais un scélérat … Je ne dis pas que je vais pleurer, non, mais moralement, tu me fends le cœur.


Panisse

Allons, César, ne prends pas ça au tragique !


César (mélancolique)

C'est peut-être que sans en avoir l'air, je suis trop sentimental. (à Escartefigue) A moi, il me fend le cœur. Et à toi, il ne te fait rien ?


Escartefigue (ahuri)

Moi, il ne m'a rien dit.


César (Il lève les yeux au ciel)

O Bonne Mère ! Vous entendez ça !

(Escartefigue pousse un cri de triomphe. Il vient enfin de comprendre, et il jette une carte sur le tapis. Panisse le regarde, regarde César, puis se lève brusquement, plein de fureur.)


Panisse

Est-ce que tu me prends pour un imbécile ? Tu as dit : "Il nous fend le cœur" pour faire comprendre que je coupe à cœur. Et alors, il joue cœur, parbleu !

(César prend un air innocent et surpris.)


Panisse (Il lui jette les cartes au visage)

Tiens, les voilà tes cartes, tricheur, hypocrite ! Je ne joue pas avec un Grec ; siou pas plus fada qué tu, sas ! Foou pas mi prendré per un aoutré ! (Il se frappe la poitrine.) Siou mestré Panisse, et siès pas pron fin per m'aganta !

(Il sort violemment en criant : "Tu me fends le cœur." En coulisse, une femme crie : "Le Soleil ! Le Radical !"

Quelle magnificence, quelle plaisir… cette pièce tirée d’une trilogie de Marcel Pagnol.