La fin des années 60, s'est déroulée pour moi, sous la protection du Petit Séminaire de Marseille, qui s'est transformé, après Vatican II, en Centre des vocations ( Centre Le Mistral, rue d'Isoard ). Une équipe de jeunes prêtres, enthousiastes du renouveau de l'Eglise, animait notre collectivité, dans l'esprit d'une véritable famille, disponibles jour et nuit. Je me souviens du supérieur Louis Magnan, et de Bernard Combes, René Giffon, Albert de Méreuil, et bien sûr Bernard Cormier ; et surtout des pères Bob de Veyrac, mon directeur de conscience, qui gérait les ''cadets'', et de Bernard Chabert, avec les ''aînés''. Quelles belles années de travail en équipe, d'école du respect de chacun, du goût des études, de la prise en compte des questions qui animent les adolescents en général, et de celles que se posent de jeunes garçons sur leur vocation... !
Depuis, la visite - dans mon institution catholique et mariste de Saint-Joseph, près de la place de Castellane - d'un père mariste ( Lavisse, je pense...) je m'interrogeais sur mon désir d'être prêtre : je ne me souviens pas bien, pour un garçon de douze ans , ce que cela pouvait signifier. Peut-être s'agissait-il, de souhaiter vivre plus profondément dans un contexte religieux, c'est à dire goûter la vie en Dieu... Après la mort de ma mère, je suis parti visiter, sur proposition du prêtre, à ma demande, avec mon père un juvénat ( petit-séminaire mariste) situé assez loin, et isolé, me semble t-il. Mon père refusa cette décision avant la fin du lycée. Il finit par accepter que j'entre au Petit-Séminaire de Marseille, où je pouvais suivre des études ordinaires... J'y entrais en classe de quatrième, avec la difficulté de n'avoir jamais fait de latin, obligatoire. J'étais pensionnaire. Nous avions chaque jour la messe le matin, et la prière du soir. Après les cours et une récréation, nous entrions en étude avec la possibilité d'aller rencontrer son directeur spirituel, ou d'aller prier à la chapelle.
J'ai acquis le goût de la lecture, avec la collection ''Signe de Piste'' ( le Prince Eric...) et de nombreux ouvrages spirituels.
A partir de la classe de seconde ; le Petit Séminaire devenait le Centre Mistral ; et nous n'avions plus cours dans nos locaux. Nous devions intégrer un Lycée ( privé ou public), mais restions pensionnaires. Je quittais les ''cadets'', pour devenir ''aîné'', avec en particulier des temps d'étude libres et non surveillés. J'intégrais l'école ''Timon-David'' jusqu'en terminale.
J'ai découvert la littérature : les '' Pensées de Pascal '' était mon livre de référence. J'achetais et lisais de nombreux livres de poche : Mauriac, Green, Cesbron, Hervé Bazin, André Gide et particulièrement Albert Camus ( Le mythe de Sisyphe, Noces...).
J'avais deux existences : l'une au Petit-Séminaire : joyeuse, fraternelle, spirituelle ; et l'autre chez mon père ( absent) et ma ''belle-mère '' tyrannique : douloureuse, haineuse, révoltante. Heureusement, je retrouvais ma sœur et ma voisine dont je pensais être amoureux... Je lisais beaucoup - Balzac par exemple - ou j'écoutais les Beatles avec la fille de nos voisins. Ma délivrance, lors des grandes vacances, était de partir seul, en train, chez mon grand-père...
A Marseille, l'été, je m'ennuyais dans notre pinède, écrasé par le crissement incessant des cigales... Il m'était interdit de rentrer dans la villa, même pour boire. Divers sentiments, brouillaient ma foi, et mes désirs. Celui de découvrir le féminin, sans-doute, mais ceux qui me faisaient véritablement souffrir étaient emplis de révolte et de haine.
Ma mère m'avait manqué. Ma belle-mère me harcelait.
A présent, j'apprenais la haine. Je rencontrais l'absurde. Heureusement, je lisais ...
Dans cet état d'âme, je ne pouvais plus être prêtre.
La lecture d'Albert Camus m'apaisait ; elle mettait des mots sur une partie de ma souffrance.
Ce que je vivais me semblait dépourvu de sens. '' L'Homme révolté '', son livre paru en 1951 - l'année de ma naissance - appelait à refuser l'injustice, une des raisons de l'absurdité, mais à ressentir aussi la valeur de la vie. Il appelait à la révolte, mais pour changer la vie, et collectivement pour rendre la société plus juste. Il ne s'agissait pas d'une révolution, mais d'une quête de justice et de liberté sans sacrifier les valeurs humaines.
Alors même que je vivais douloureusement, mon adolescence. Lancelot se confrontait ( lui, avec de solides outils) à l'observation d'un univers cosmique, qui comme système fermé, ne pouvait échapper à l'augmentation de l'entropie.
La philosophie de l'absurde et l'entropie en sciences ne se rejoignent-ils pas, dans leur exploration du désordre, de l'absence de sens et de l'inévitabilité de leurs conditions ?
Je rappelle - nous en avons déjà parlé - que l'entropie exprime le fait que tout type d'ordre, finit par se défaire. L'Entropie mesure le désordre.
L'existence tend à se désintégrer tout comme la chaleur de la tasse de café se dissipe.
L'Univers serait condamné à la "mort thermique", état où l'entropie aurait atteint son maximum et où toutes les différences de température et les mouvements moléculaires significatifs disparaîtraient.