Seth, le troisième fils d'Adam et Eve, m'apparut donc pour la seconde fois dans Syrie 55 du photographe iranien Payram.
Il se trouve que le même jour, ou peut-être est-ce le lendemain, je ne sais plus, je visionne un entretien de Maxime Rovere pour la librairie Mollat, autour de son roman Le livre de l'amour infini. Je connaissais Maxime Rovere pour son édition de L'Ethique de Spinoza (Flammarion, 2021) - édition annotée et traduite sous sa direction, que j'avais commencé de lire voici quelques mois (mais je n'ai pas eu le courage de m'y tenir) -, mais je ne savais rien du reste de son travail. Dans le roman, il raconte la vie d'Apollonios de Tyane, philosophe grec du 1er siècle après J.-C, homme et dieu, si l'on en croit le sous-titre de l'ouvrage. Il n'est pas une invention, sa vie est rapportée par Philostrate d'Athènes et une collection de ses lettres, un temps en possession de l'empereur Hadrien, a pu être préservée. Malgré tout, il reste de vastes zones d'ombre, qui laissent le champ libre à l'imagination de l'auteur, qui parle de son geste créateur comme d'une anastylose. Terme d'origine grecque qui désignerait, littéralement, le fait de "remettre debout" :
"Ce livre est une anastylose, parce que l'histoire d'Apollonios de Tyane est une statue brisée, volontairement enfouie sous terre par des pouvoirs qui ne voulaient plus entendre parler d'"homme divin" autre que Jésus de Nazareth, et par des savants qui voyaient les mystères et les rencontres avec l'invisible comme de la simple superstition. L'effort pour "remettre debout" une figure à laquelle nous n'avons accès que par des fragments ne pouvait pas se contenter de l'érudition d'une seule personne, encore moins d'une seule méthode. Il a fallu mobiliser beaucoup de monde pour composer un texte simultanément historique , philosophique et littéraire." (p. 512, A propos de ce livre)
Philosophe errant, couramment associé à Apollonius de Tyane. Musée archéologique d’Héraklion (Crète)
L'entretien m'a vraiment passionné, Rovere y expose avec une grande clarté, sans jargon, les principes qui l'ont guidé dans l'écriture du livre. Un passage m'a particulièrement frappé (à partir de la 22ème minute, pour celles et ceux qui voudraient y jeter un œil), un passage où il évoque la divination, une des pratiques familières d'Apollonios, qui consiste à lire les signes (ainsi lit-on dans les étoiles parce qu'on considère que les étoiles sont un texte qui raconte quelque chose utile pour comprendre le monde terrestre). "Au sein du monde terrestre, poursuit-il, il y aussi des signes qui vous disent quelque chose et que vous avez besoin d’apprendre à lire, les autres êtres humains vous racontent des choses que vous avez elles aussi besoin d’apprendre à lire. Ce qui signifie que le divin chez Apollonios c'est pas seulement une présence, si vous voulez, qui serait là et qui témoignerait d'une puissance mystérieuse. C'est presque l'inverse en fait, c'est un principe d'exégèse du réel, c'est-à-dire ce qu'on appelle aujourd'hui des synchronicités et dont nous parlons tous en off quand personne ne nous entend, et à nos proches, on confesse, j'ai vu un truc bizarre, il s'est passé quelque chose d'étrange, j'étais en train de penser à Brigitte et je suis passé devant un magasin et ça s'appelait chez Brigitte. Ce genre de truc-là, pour Apollonios, ce sont des signes, ce sont des signes qu'il faut apprendre à lire parce que derrière il y a du Dieu et que les dieux font sens. En fait ce sont les sources du sens."
On comprend aisément que ces paroles m'ont immédiatement saisi, ne pouvaient que me saisir, moi qui ne cesse d'enregistrer, collectionner les signes, les résonances, les synchronicités. Cet Apollonios me devenait soudain très proche, dans son invite, comme dit Rovere, à vivre différemment notre humanité et "ce que l'existence a de mystérieux, qui de temps en temps s'éclaire dans de petits fragments de divin. On est un peu comme des petits Poucet qui peuvent rassembler des cailloux pour que nous on aille à la rencontre, pas d'un Dieu à l'extérieur, mais d'une très grande beauté qui se trouve en chacun de nous."
Il me fallait dès lors absolument lire ce livre (dont le titre et la couverture laissent quand même un peu songeur - je suis bien d'accord avec Marc Lebiez qui, dans son article sur En attendant Nadeau, écrit que "Tant le titre de ce livre de Maxime Rovere que sa présentation visuelle le destinent au rayon « spiritualités » des supermarchés de la culture). Je le trouvai à Bourges le 10 septembre à la librairie de la Poterne. Un peu plus tard, nous allâmes dîner dans un petit resto syrien, appelé Saveurs de Damas (rien de prémédité, ce n'est d'ailleurs pas moi qui ait choisi, n'empêche que je ne pouvais pas ne pas penser à Payram).
D'autant plus que le lendemain, commençant la lecture du roman, je tombai sur ces mots :
"J'ai rencontré celui qui allait devenir mon maître alors que je me trouvais dans la ville de Nappigû en Syrie (...)."
A suivre. Bien évidemment.