Depuis l'enfance, j'ai l'intuition que ce que j'appelle la ''réalité observable '', n'est pas le Tout de la Réalité. Aujourd'hui, je pourrais la compléter et nommer l'autre par '' réalité transcendantale '' ; mais je cherche toujours à comprendre, et saisir ce qu'elle peut signifier au mortel que je suis. La mort pourrait-elle me permettre d'y accéder ?
Ma mère, par sa foi chrétienne, m'a ouvert un champ d'investigation qui correspondait à ce que je percevais de la Réalité. Ce champ ne répondait pas aux même règles, que celles de ma vie quotidienne, mais il agissait dans cette vie. Jésus, un galiléen qui vivait il y a deux mille ans, bien que mort sur une croix était toujours vivant, c'est à dire toujours réel. Il appartenait à cette réalité totale et nous assurait que nous en faisions nous-même partie, avec Lui, avec tous les saints. L'Eglise, nous montrait des images, des signes de cette Réalité. Et, je me souviens très bien, avoir ressenti cette Présence réelle d'amour, représentée alors par une statue de Marie, dans la chapelle de l'école Sasserno à Nice, au cours de la cérémonie de notre ''première communion'' ( ou communion privée). Je devais avoir 9-10 ans... C'était avant que nous rejoignions Marseille.
Je devais comprendre alors que le rituel, nous permettait d'entrer en relation avec cette autre réalité. A l'aide de cubes, rangées dans un chariot, je fabriquais un autel, pour ''jouer'' à dire la messe...
Ma mère m'a transmis , malgré mon père qui en était agacé, un aspect - bien réel - de la vie quotidienne tourné vers la transcendance.
Ma mère étant, sans-doute la personne la plus importante dans ma vie, à cette époque ; je dois en parler ; d'autant qu'elle nous quitta en juillet 1963; et que je tente à présent de retrouver ces précieux souvenirs qui contrastent avec ce que je vivais, après sa disparition...
Papa travaillait, toujours, même le dimanche ; il nous arrivait d'aller visiter avec lui un chantier... II rentrait tard. Maman était toujours là. Elle était là quand j'allais en cure, quand j'ai été opéré à Paris, en vacances : je me souviens être parti avec elle dans les Alpes...
Il me revient l'odeur du rouge à lèvres, et ce mouvement du doigt, mouillé " d'eau du coeur " ( ce sont ses mots), pour effacer je ne sais quel tache sur mon visage.
Mère au foyer, elle s'occupe essentiellement de ses enfants. Ma petite sœur, Axelle, intrépide, demande beaucoup de surveillance. A Nice, nous pouvons être un sujet de dispute avec sa sœur Josette - dont le mari est officier à Madagascar, puis en Algérie - qui a une fille, Muriel, un peu plus jeune que moi. Elles s'entendent très bien mais chacune argumente sur ce qu'il convient de faire pour notre éducation. Par exemple, je lis '' Mickey'', alors que Muriel est abonnée à '' Tout l'Univers'' ; mais je me souviens avoir bien lu '' Tout l'Univers'' aussi, et sans-doute ' Mickey' pour Muriel.
Je me souviens d'un grave accident, où seul avec maman, alors qu'elle cuisinait avec l'aide d'un mixer ; elle s'était blessée fortement, il y avait beaucoup de sang, j'étais affolé...
Maman était très croyante, au contraire de sa sœur. Je l'accompagnais à la messe. Papa était agacé par cette pratique religieuse.
Elle nous surveillait toujours de très près. Je me souviens plus grand, je riais quand elle me grondait et, elle n'appréciait pas ! Je riais, parce que je ne croyais pas qu'elle pouvait être vraiment en colère contre moi ; sans-doute étais-je persuadé qu'elle m'aimait tellement qu'elle ne pouvait pas vraiment être fâchée...
Je la vois, petite femme, un peu mère poule, face ( plutôt qu'à côté...) au père dynamique, toujours un peu énervé. Mes bêtises, restent une affaire entre maman et moi.
Du Maroc, me restent des images de la villa, une belle maison moderne, et un jardin ; peut-être un peu l'école, en ''petite classe'', avec un ''tricotin à 4 clous'' et de la laine... Souvenir des conséquences d'un vaccin, je ne pouvais plus marcher... J'ai l'image de Noël, mais, comme sur les photos. Et, le souvenir de l'annonce d'un cadeau supplémentaire, qui nécessitait le déplacement dans une clinique : la naissance d'une petite sœur !
Pas vraiment d'autres souvenirs, peut-être celle de la visite d'amis des parents.
Ensuite, nous sommes à Nice, dans la vieille ville, un appartement ; la ''bonne'' ( une femme marocaine) nous a accompagnés, elle m'apprend à compter jusqu'à dix en arabe ( je m'en souviens encore!). J'ai caché un jeu dans la cheminée fermée par un rideau métallique, acheté en cachette à la sortie de l'école, il s'agit d'une sorte de puzzle coulissant numérique, avec des jetons à bouger avec les doigts, pour obtenir le bon ordre ...
Ensuite, nous habitons dans un autre immeuble, moderne, avec balcon, boulevard Gambetta. La ''bonne'' est repartie au Maroc. Je vais à pied dans une école privée ( Sasserno ), après être resté très peu longtemps dans une école publique ''arriérée''..
Non loin de notre logement, il y a un jardin public. Maman s'y tient avec Axelle. Il existe des photos où je suis avec ma petite sœur à la plage.
Nous allons voir Guignol, avec Muriel. Nos mères sont souvent ensemble. Gaston est en Algérie.
Je joue bien avec Muriel. Axelle est trop petite pour nous. Nous sommes assez libres, alors qu'elle est sous la surveillance constante de maman.
Je me souviens bien de l'anniversaire de mes dix ans. J'ai découvert dans ma chambre, ce dont je rêvais : un ''grand bureau'' avec un plateau rouge et des tiroirs sur les côtés. Ce bureau m'a accompagné jusqu'à la Ribassière ( Marseille).
Il y eut ensuite Monaco. Nous habitions un immeuble qui donnait sur le stade de foot. Et l'équipe de Monaco était renommée.
J'allais dans une école catholique des '' très chers frères '' : mauvais souvenir, en particulier celui d'un ''très cher frère'' cherchant à me donner des coups de règle, et moi courant dans les rangs de la classe... C'était une grande bâtisse assez triste ; un règlement strict, tableau d'honneur...etc
Un matin, avant de partir à l'école, maman me donne une enveloppe contenant le règlement du trimestre ou du mois, que je devais donner aussitôt à l'administration de l'école. J'ai oublié... Un long temps plus tard, je découvre dans mon cartable cette enveloppe... Je m'imagine que, le temps ayant passé, personne semble s'en être aperçu... Je peux l'ouvrir et voir qu'il y a plusieurs billets. Sans m'en soucier davantage, semble t-il, je m'engage avec un copain à choisir dans un magasin une petite voiture ( sans-doute une ''dinky-toys'', assez chère...). Bien-sûr, un jour, maman me demande ce que j'ai fait de l'enveloppe qu'elle m'avait remise. Je ne me souviens pas s'il a fallu beaucoup de temps, pour que j'avoue tout... Ce dont je me souviens très fort, c'est la réaction horrifiée de maman : son fils était un voleur... ! Elle pleurait, je pleurais... Je ne savais plus quoi faire pour arrêter ce malheur. Conséquence : elle ne dirait rien à papa ; et je viendrais sur la champ me confesser à l'église proche. Je l'ai fait, avec elle, immédiatement.
Toujours à Monaco, je me souviens accompagner régulièrement Axelle au petit zoo d'à côté de chez nous, les gardiens nous laissaient entrer pour voir les premières cages et revenir...
Nous allions dans une spacieuse bibliothèque, avec plein de livres... Là, nous avons vu des films du commandant Cousteau... Tout cela, forcément, sous la conduite de maman...
J'ai le souvenir de vacances dans les Alpes, seul avec maman. ( et Axelle ?) Je crois que c'était dans le Vercors , j'ai le souvenir d'avoir pêché, et fier de lui montrer un poisson, mais il était trop petit alors je l'avais remis à l'eau.. !
Souvenir aussi, d'une cure à Salies de Bearn, et toujours ce sentiment heureux de protection.
Je suis allé à Paris, pour une opération aux deux pieds. Je suis parti, je crois seul avec Maman. Après l'opération, les deux pieds dans le plâtre, nous étions logés chez les ''Ambrogis'' près de Paris, Michel était steward chez Air-France. La présence de maman m'a été essentielle, à la clinique, elle dormait avec moi dans la chambre. Ensuite, contraint à rester assis ou couché ; je me souviens d'enfants - dans la cité où habitaient Christiane, Doris et Stéphane.. - qui venaient me voir...
Aucune impression d'avoir été un tant soit peu malheureux avec maman.
Quelle différence avec ce qui se passera ensuite ; en 68, j'étais opéré à nouveau à Marseille ; et j'ai pu mesurer la différence, et le manque de la présence d'une mère...