Felisberto et Louise Vertigo

Publié le 16 octobre 2024 par Les Alluvions.com

Le 10 octobre, poursuivant la lecture de Thomas Clerc, Paris Musée du XXIe siècle, Le dix-huitième arrondissement, j'ai la surprise de tomber sur ce passage (il vient d'évoquer Louise Attaque) : "Vie antérieure : j'ai connu un groupe moins connu, Louise Vertigo, dont la chanteuse aimait un peintre nommé Turbelin, qui vécut rue Ordener. Ce que la vie peut comporter de fils !" (p. 397)

Surprise, car moi aussi j'ai connu Louise Vertigo. Oui, oui, et je peux même vous dire que ce n'est pas un groupe, la chanteuse est Louise Vertigo (vous pouvez vérifier en allant sur son site Louise Vertigo /La Voix et le Souffle). Évidemment, il s'agit là d'un pseudonyme. Mais j'ai eu beau chercher, aucune biographie ne mentionne ses origines berrichonnes. Je connais ses véritables nom et prénom, mais je ne les révèlerai pas ici, respectant le choix qu'elle a fait de jeter le voile, pour je ne sais quelle raison, sur la première partie de son existence.

J'ai ressorti pour l'occasion le disque qu'elle a réalisé en 2001, et qui porte comme titre tout bonnement Louise Vertigo. Il y avait longtemps que je ne l'avais écouté. En voici un extrait, Les chacals.

Louise Vertigo · Les Chacals  

Le plus surprenant encore, c'est que la veille même, avec le Doc et Nunki Bartt, j'étais passé devant le café que tenaient ses parents à l'entrée d'un petit village du côté d'Aigurande, et j'avais pensé à elle. A elle que je n'ai pas revue depuis plus de vingt ans. Car, à une époque, où elle vivait déjà à Paris, elle revenait de temps en temps en province, et nous fréquentions la même bande de copains. Jeune femme mince et séduisante, vive et souriante, elle m'avait fait découvrir un écrivain uruguayen magnifique, Felisberto Hernández (1902-1964), en me prêtant un volume de ses nouvelles. J'avais été conquis par l'étrangeté de cette écriture, l'alliance de douceur et de fantastique, et j'avais acheté, quelques années plus tard, en 1997, le volume de ses Œuvres complètes, publié au Seuil, dans la traduction de Gabriel Saad et Laure Guille-Bataillon. Et adapté l'une de ses nouvelles les plus fortes, Les Hortenses, pour le théâtre. Dans sa préface, intitulée Felisberto ne ressemble à personne, Italo Calvino écrit que "l'association d'idées n'est pas seulement le jeu préféré des personnages de Felisberto, c'est aussi la passion dominante de l'auteur, et c'est par ce procédé qu'il construit ses récits, reliant les thèmes entre eux comme dans une composition musicale. Tout se passe comme si les expériences les plus banales de la vie quotidienne mettaient en branle les sarabandes mentales les plus imprévisibles, tandis que les caprices et les manies qui exigent une préméditation compliquée et une chorégraphie élaborée ne tendent à rien d'autre qu'à évoquer des sensations élémentaires oubliées." Juste un exemple, parmi tant d'autres, de ces images étonnantes : "Il finit par se lever, alla vers sa femme et se pencha lentement sur elle jusqu'à ce que ses lèvres touchent sa joue. On eût dit que le baiser descendait en parachute sur une plaine où existait encore le bonheur." (Les Hortenses, p. 323)

 

Une dernière anecdote liée à Louise. Le même jour, je crois (c'est si loin que je ne suis pas absolument sûr de la chronologie des faits), où elle m'avait prêté le livre, je la reconduisis le soir au café de ses parents. Et tombai en panne d'essence peu avant le village. Nous finîmes à pied, et elle m'offrit l'hospitalité pour la nuit. La cour qu'il fallait traverser était pleine de chiens qui, dans mon souvenir, étaient un peu inquiétants. Elle eut ce geste qui me transperça : elle posa sa main sur mon bras et la meute se calma comme par enchantement. Ce rapprochement n'alla pas plus loin, mais l'impression fut si forte que j'écrivis un peu plus tard une courte nouvelle, Le colporteur,  qui s'en inspirait.

Felisberto Hernández (qui était aussi pianiste)

Et pour finir, cette belle reprise de Est-ce ainsi que les hommes vivent ? par Louise Vertigo :

On comprendra que je peux reprendre à mon compte l'exclamation de Thomas Clerc : "Ce que la vie peut comporter de fils !".