<< Poésie d'un jour
Photo: G.AdC
Je t’aime à la fleur de sel, à l’aube nue, aux larmes
de crocodile, je t’aime petit à petit, au grand large, à
la nuit fauve, je t’aime tout en haut, au rideau tiré,
à la porte, à la violette, à l’agonie, je t’aime sur le
fil, au tricot jaune, à la pâquerette, à la barque, à la
nuit, je t’aime tu sais. Je t’aime. Au chien de velours,
je t’aime au vol, à la pomme cuite, à la cerise sur le
gâteau, je t’aime au mal, au destin, à la fin, au vent
mauvais, à la lame, à l’os. Je t’aime sans moi, aux
humeurs, au piano, à la petite semaine. Je t’aime aux
autres.
L’aube a la couleur que lui donnent tes hanches. J’ai
une enfance dans laquelle résonnent les pas morts.
Je peins le premier soleil qui arrache ton épaule nue.
Les mots justes ont la mémoire du pardon.
Ce matin, tu ne prends aucune forme, ni dans la
connaissance de l’aube froissée, ni dans le premier
silence. Tu n’as aucune odeur de café noir, aucune
enfance livrée à la nuit.
Tu me laisses au milieu du monde. Ma peau ne résis-
tera pas à la nuit froide. Je n’ai aucune langue pour
lécher les os rougis, aucun feu pour éteindre le silence
qui rampe entre tes jambes. Tu me laisses au milieu
d’un jour qui ne me connaît pas.
Tu couds la vie sans moi. Nous sommes au bord de
la seule tombe. Le soleil a une petite ombre d’avance
sur ta langue qui se raidit.
L’amour comme ta dernière pluie, comme les ourlets
froids de la nuit, avec ce matin de jambes nues, avec
un dernier visage, l’amour comme un cheveu cas-
sant, comme une dernière épingle, comme la suture
acide de la perte, comme la généalogie d’une larme.
Pierre Dancot, L’APPARITION, Le Taillis Pré 2024, pp.47,48,49, 50,51,52.