Tentative de suicide

Publié le 29 août 2008 par Docrica

23h00 le portable sonne. Je reconnais la musique que j'ai programmé pour les appels des Pompiers.

5 secondes d'hésitation: Répondre ou pas répondre.

(Image d'illustration / wikipédia)

Les raisons de l'hésitation reposent sur le fait que je suis de garde demain, il va falloir que j'assure pour 36h d'affilée. D'un autre coté, je rentre juste de congčs, et certainement qu'ils n'ont pas pu joindre les 3 autres médecins pompiers qui tournent sur le secteur. Je réponds.

Pompiers: "Rica ? C'est les pompiers. On a besoin de toi. Un accident, personne ejecté, état grave. C'est aprčs le lac de X. , tout en haut, quasiment ŕ Y."

Moi: "Tu as quelqu'un pour m'y emmener ?"

Pompiers: "Non, je suis seul ŕ la caserne lŕ . Les autres sont dans le VSAB/VSR sur l'accident".

(VSAB = l'ambulance rouge qui fait pimpom, VSR= véhicule spécialisé dans la désincarcération des accidentés)

C'est la dčche en ce moment chez les pompiers... ils ne sont que 7 par équipe, tout juste de quoi remplir un VSAB et la moitié d'un VSR.

Moi : "Ok , je vais essayer de trouver , s'ils sont sur place ils doivent etre visible"


En route vers le lieu de l'accident, ca grimpe tout d'abord jusqu'au au lac, en passant par un virage qui a connu... de trop nombreux morts. A l'époque ou les discothčques étaient nombreuses dans le coin. Elles ont disparus. Il n'y a presque plus de morts.

Poursuite vers le lieu de l'accident, ca grimpe encore plus, virage en épingles tout les 300 mčtres.. c'est ŕ l'endroit męme ou chaque année ils font leur "rallye automobile".

Dčs le début, je vois les gyro en haut, ils sont nombreux. Il doit y avoir la gendarmerie avec.

Un panneau sur la route avec un sigle de voiture accidenté, balisé par les pompiers ou les gendarmes signale l'arrivée sur les lieux.

Une voiture en travers de la route, mais sur ses 4 roues, particuličrement cabossé est visible. Pas d'autres véhicules, pas d'arbres abimés. Pas de trace de choc ŕ l'exception de la déformation de la voiture.

Un  sapeur pompier sort du VSAB et me fait le rapport:

Lui: "Une femme, la quarantaine. Tentative de suicide par bonbonne de gaz dans une voiture. L'explosion l'a ejecté. Elle est bien brulé et elle a froid".

Hue .. oh. Hein ? Bon.

Rentré dans le VSAB , je vois la patiente sur le brancard, recouverte d'une couverture de survie jusqu'au cou. Les cheveux brulés, la joue droite brulé au 2ičme degré. Cils et sourcils ont disparus. Les pompiers lui ont mis un masque ŕ oxygčne, je vois sur le scope posé derričre elle que les constantes sont pas si mal: Tachycardie ŕ 130, Tenstion artérielle ŕ 140/70, Saturation en oxygčne ŕ 100% sous le masque.

Moi: "Madame vous m'entendez ? Je suis le Dr X, je viens m'occuper de vous"

Un gémissement se fait entendre, incompréhensible. Je répčte ma phrase plus fort, il se pourrait que l'explosion ai eclaté ses tympans par phénomčne de BLAST.

Elle d'une voix a peine audible, m'obligeant ŕ poser mon oreille quasiment sur sa bouche brulée: "Mon pčre... mort il y a un mois.. ma mčre.. faut pas lui dire... j'ai froid.. j'ai mal".

Je soulčve délicatement la couverture de survie, dessous les habits ont fondus, la peau est brulé : sur les jambes, les cuisses, la moitié de l'abdomen, les seins, une partie du cou, les bras.

Merde. C'est grave. C'est trčs grave. Grand brulé.

Moi aux pompiers : "Un gros cathéther , un vert, du chloruré, de quoi desinfecter, et du nubain, il faut mettre une voie assez vite"

Tout est fait trčs rapidement. Ces pompiers sont des volontaires.. payé ŕ 9% horaire du smic pour leur astreinte.. mais ce sont des "pros".. motivés, interressés, et connaissant du mieux qu'ils peuvent leur métier. (A nouveau, je vous tire ma révérence messieurs, grand grand respect.. et męme si je suis "médecin pompier".. c'est vous les vrai pompiers).

La perfusion est mise en place, aprčs quelque soucis... trouver une zone du bras dans laquelle il y a une veine... en  regard de laquelle la peau ne serait pas brulé.

Coup de bol, il reste 10 cm˛ de peau non brulé pile au pli du bras, en face de la grosse veine habituelle.

Pompiers : "Qu'est ce qu'on fait doc ?"

Moi : "Rappeler le samu, il faut médicaliser, męme si elle vous parait bien lŕ.. c'est grave."

Pompiers: "Les hélicos sont sur X.. occupés. Je les appelles et je te les passe"

Je discute avec la patiente, essaye de la rassurer, "déconne avec elle" sur l'age qu'elle a, que j'ai , du contexte... du pourquoi.. du comment. Elle arrive ŕ esquisser un éphémčre sourire. Elle a trop mal.

Je lui passe de la morphine dans une perfusion, tout en m'assurant qu'elle soit "bien rempli" (qu'elle ne perte pas trop de liquides de par l'étendu des brulures).

Elle est un peu calmé assez rapidement. Je m'attache alors ŕ essayer de diagnostiquer sous une peau brulé au 2ičme ou 3ičme degré, des lésions suites ŕ l'éjection qui pourrait mettre en jeu le pronostic vital.

Les jambes et les bras ne sont a priori pas cassé. Le bassin non plus. Le dos non plus. Par contre le ventre ne me plait pas.. je le trouve bien dur. Est-ce que quelque chose ŕ pété dedans ?? Impossible a savoir sur place lŕ. Par contre, le fait que je viens de lui passer la morphine va géner mes confrčres qui vont la surveiller/prendre en charge. Ca cache les douleurs.. et ca peut fausser le diagnostic. Re-Merde.

La tension est toujours bonne, le coeur se ralentit, elle a moins mal.. c'est clair.

Par contre, elle s'endort facilement.. et ca se solde pas une moins bonne respiration.. la saturation en oxygčne baisse dangereusement vers les 90%

Obligé de l'emmerdé "Hé, X .. restez avec nous un peu"

Elle ouvre les yeux, sourit, on rediscute 2 minutes.. et ainsi de suite.

Au téléphone, le samu est désolé de m'annoncer qu'il va falloir que parte en "jonction" (c'est ŕ dire. partir avec l'ambulance des sapeurs pompiers ŕ la rencontre d'une équipe du samu qui vient dans notre direction 60 kilomčtre de lŕ).

Samu: "L'hélico est sorti. Je t'envoie une équipe mais par route".

No souci. Il faut faire avec ce qu'on a. Et c'est deja pas mal qu'il y est une equipe smur de disponible.

Un des pompiers prend ma voiture, et nous suit.

Trajet tumultueux , le VSAB doit prendre tout les virages pour redescendre vers la "grande route". A chaque tournant, les douleurs de X sont reveillés. Tant mieux quelque part.. ca m'evite de devoir l'emmerder pour la réveiller pour qu'elle respire correctement.

Nous discutons a nouveau sur le trajet.

Elle: "Je comprends pas. J'ai ouvert le gaz dans la voiture et je voulais m'endormir et mourrir. J'ai pas allumer de cigarette.. ou peut etre que si"

Elle: "J'ai mal docteur. Je suis trés brulé sur le visage ?"

Moi : "Non madame, un peu sur le visage.. par contre les jambes et les bras..elles sont bien brulées elles.. on vous emmčnent dans un centre de grand brulés"

Elle: "Vous viendrez me voir la bas ?"

Moi: "Non , ŕ 60 km.. je vous mentirais si je vous disais que je viendrais vous voir. Mais donnez moi le nom de votre médecin traitant , et je lui dirais ce qu'il s'est passé".

Je sais trčs bien que son médecin ne passera pas. 60km x2 + temps de visite.. soit plus ou moins 3h.. alors qu'il n'a , lui non plus, męme pas le temps de recevoir de maničre satisfaisante au niveau timing ses patients du jour.

20-30 minutes plus tard, on croise les gyrophares du véhicule du samu. La jonction va avoir lieu.

Arret sur le bord de la route. Je suis surpris. Le véhicule du smur est un vieux machin qui devait deja etre présent lors de mes premiers smurs il y a 15 ans.

Moi: "Bonjour le samu, Ca existe encore ces véhicules ??"

L'ambulancier du SMUR: "Oui !! Pensez donc, on fait plus de primaire normalement avec ça... mais ca fait le 3ičme aujourd'hui"

(Un primaire est une intervention "en premier" lors d'un demande d'aide d'urgence directement sur le lieu.. ŕ opposer aux "secondaires" qui sont des transports de malades en état instable d'un hopital ŕ un autre)

3 femmes l'accompagnent: je sais qu'il doit y avoir un toubib , et une infirmičre et probalement la troisičme est une interne ou une externe, mais impossible de savoir qui est quoi.

Je me lance sur le bilan avec la premičre. Raté. C'est l'interne/externe, je vois qu'a chaque phrase que je dis, elle se tourne vers une de ses comparses.. ca doit donc etre elle la toubib.

Elle refait le bilan clinique deja effectué sur lieux de l'explosion 40 minutes plus tôt. La patient étant deja perfusé, calmé, hydraté. Rien de plus n'est ŕ faire dans l'immédiat si ce n'est rappeler le régulateur du 15 pour "faire de la place" chez les grand brulés.

Remerciement collectif ŕ cette equipe smur avant de partir et je me rapproche de la patiente.

Moi: "X. vous etes dans de bonnes mains. Courage. J'appelerai Y pour lui dire ce qu'il s'est passé."

Elle: "Merci."

Le médecin du smur: "Mais ? Vous etes son médecin ?"

Moi: "Non."

Le médecin du smur: "Mais vous la connaissez alors ?"

Moi: "Heu non plus. C'est Y. son toubib.. et lui je le connais donc je l'appellerai demain"

Ca craint. Elle a relativement peu de chances de s'en sortir.

Pauvre bonne femme.

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