Chers lecteurs,
Le moment est venu de vendre la mèche : "Au collège" n'aura pas de saison 2. J'aurais bien aimé continuer, l'année s'annonce prometteuse avec notamment ma nouvelle classe de troisième
en alternance, mais un petit évènement familial complique singulièrement mon emploi du temps de rentrée.
Le jeune Henri va bien, merci pour lui. Ses parents, par contre, commencent à donner quelques signes de fatigue, peut-être liés aux nombreux repas nocturnes du jeune homme. Avec mes cernes,
mes traces d'Eosine sur le visage et mes cheveux gras, je fais une publicité assez convaincante pour la limitation des naissances. Il y a mille choses à faire, les jours s'écoulent comme des
heures et les heures comme des instants ; la vie est trop rapide et le temps manque pour s'asseoir à son clavier et décrire les dernières vilenies de Camélia Boubay (ou de Xavier Darcos).
Evidemment, je disposerai d'un peu plus de temps libre dans quelques semaines, quand Son Altesse fera ses nuits et que le boulot aura pris un rythme de croisière. Mais j'ai envie de faire
autre chose. Si je continuais à tenir ce blog, le risque de la redite, du radotage, de l'exploitation de mon petit fond de commerce deviendrait plus grand à chaque billet. Ou alors il faudrait
changer d'angle, et élargir le point de vue en adoptant une autre forme d'écriture. C'est justement ce que je me propose de faire.
Il y a quelques mois, un éditeur m'a contacté pour me dire que mon blog l'intéressait. Malheureusement, nos échanges par courriels et téléphone n'ont abouti à rien ; je n'ai d'ailleurs
pas très bien compris les raisons de son désistement. Cette expérience frustrante a tout de même eu ceci de bon, qu'elle a aiguillonné mon désir d'écrire et de publier -je veux dire, d'écrire un
livre en papier.
Je suis conscient que ce désir de réintégrer le monde de Gutenberg a quelque chose d'un peu idiot. Depuis l'ouverture de ce blog, j'ai reçu plus de 100.000 visites et plusieurs centaines de
commentaires. Certains de mes lecteurs vivent à Oakland, Bergame, Stellenbosch (Afrique du Sud) ou Piatra Neamt (Roumanie). J'ai eu le plaisir d'être cité par des gens que j'aime et par d'autres,
aussi éloignés de moi que possible et en qui j'ai été surpris et flatté de découvrir des visiteurs occasionnels. J'ai obtenu ce résultat sans démarcher qui que ce soit, sans faire d'effort pour
rendre mon blog joli, en relatant tout simplement, au jour le jour, ce qui se passait dans mon collège.
En comparaison, ma nouvelle entreprise paraît hérissée de difficultés et de lourdeurs. Comme je ne souhaite pas rédiger un témoignage brut de décoffrage, il va falloir que je me creuse la tête
pour déterminer un plan. Il faudra ensuite que j'écrive le texte, seul à mon ordi débranché du Ouèbe, avec un retour bien moindre que celui dont je pouvais disposer ici. Il faudra ensuite que je
démarche des éditeurs -et quand je vois le type d'ouvrages qui occupent la rentrée littéraire actuelle, je me dis que mes chances d'attirer l'attention sont minces. Enfin, dans le cas où je
serais publié, il y a 99 chances sur 100 que les ventes plafonnent à 500 exemplaires, et qu'elles soient géographiquement limitées à Paris - Île de France. Peu d'activités présentent un ratio
effort / gratification aussi faible.
Mais, outre que comme enseignant je suis habitué à me donner beaucoup de mal pour pas grand chose, le prestige du livre demeure dans mon esprit et constitue un argument invincible.
Méconnues, méprisées et finalement mises au pilon, ces pages (qui restent entièrement à écrire) seront pour moi un motif de fierté plus grand que les archives d'"Au collège". J'aurai beaucoup
plus de plaisir à les faire lire, un jour, à mes fils. J'ai cherché un motif rationnel à cette préférence pour le papier ; il n'y en a pas vraiment : nous sommes dans le domaine du
sentiment. -Bien sûr, la possibilité d'un succès triomphal, assorti de confortables retombées narcissiques et financières ainsi que d'un changement radical de style de vie, est présent dans un
coin de mon esprit. On ne se lasse jamais de croire aux contes de fées, surtout quand on tient le personnage de la grenouille. Inch'Allah, comme disent mes parents d'élèves.
Il me reste, chers lecteurs, à vous remercier du fond du coeur. Vos commentaires m'ont intéressé, surpris, irrité parfois, mais ils ne m'ont jamais laissé indifférent ; c'est toujours avec le
coeur battant que je venais les lire, le matin, pendant que l'eau de mon café chauffait. Je m'excuse de ne pas y avoir répondu aussi souvent que je l'aurais voulu ; j'avais décidé que,
puisque le temps manquait, il valait mieux publier de nouveaux billets que de m'attarder sur les précédents.
Grâce à vous, cette année scolaire a pris un sens totalement différent. Ce blog et les visites que vous lui avez rendues ont rendu plus supportables le RER B à six heures et demie du matin,
les rires insolents, les chahuts, le sentiment d'inutilité, les journées où je perdais deux kilos. Au coeur de tous ces moments pénibles, je trouvais une sauvegarde mentale dans la pensée que je
vous parlerais de cela. C'est ainsi que j'ai pu éviter de fracasser quelques crânes (à commencer par le mien).
J'espère vous avoir appris quelque chose, et à défaut, vous avoir divertis. Au revoir, chers amis. A un de ces jours peut-être. Et bonne chance.