Le samedi matin, Mado se rend au marché place Fernand Pelloutier, avec son caddie qui couine, sa canne et la clé de la maison dans son soutien-gorge – ben oui, me dit-elle, où veux-tu que je la mette ? Je n’ai pas de poches.
Elle fait le plein pour la semaine, va chez le boucher-charcutier puis à la superette de la place du Maquis. Et si elle n’a pas trop mal au genou, elle fait un crochet par la boulangerie.
Soudain je songe au triste incident survenu en décembre 2007 (lire ici) puis à d’autres et cetera. Toute sa vie, elle a tiré le diable par la queue. Et malgré cela, elle s’échine à rire et quand elle ne peut pas rire parce qu’elle souffre, elle sourit, ou si elle pleure, c’est parce qu’elle n’en peut plus de cacher son chagrin. La joie de vivre et l’amour les ont empêchées, elle et sa fille, de sombrer dans des gouffres dont on ne se sort pas indemnes.
Mado nous chouchoute. Midi et soir, Nicole et moi savourons des plats soigneusement cuisinés. Quand la fatigue a raison d’elle, elle s’excuse de nous servir des rogatons, qu’elle accommode pour faire comme si ça n’était pas des restes. Et quand débarquent les amis, c’est fête. Mado met les petits plats dans les grands. Toute sa vie, elle a privilégié le bien-être de l’autre au sien. Elle n’est d’ailleurs pas prête de s’arrêter.
Depuis la fenêtre de ma chambre-bureau, j’entends couiner le caddie de Mado. J’ai le temps de bondir hors du lit, de descendre l’escalier, d’ouvrir la porte d’entrée tandis qu’elle cherche la clé lovée dans sa généreuse poitrine, pour hisser le caddie lourd comme un âne mort en haut des quatre marches du perron. Une fois le caddie vidé, elle s’en va faire d’autres emplettes.
Avant l’heure du déjeuner, je l’interroge sur sa ratatouille : « Moi, je commence par les courgettes mais on n’est pas obligé. Je coupe les légumes en petits morceaux, je pèle les tomates. » Quels légumes utilise-t-elle ? Des courgettes, des poivrons, des oignons, des tomates, des aubergines. « Je fais revenir à part chaque produit. Une fois que les légumes sont revenus, je mélange tout ensemble. C’est un truc à moi. La ratatouille, je la fais comme ça. J’y fais cuire de la saucisse mais c’est pas obligé. »
Mine de rien, elle y a passé deux heures, sans compter la cuisson. Inutile de vous dire qu’on s’est léché les babines.
Deux locataire de la Maison des Jeunes d'Albi où travaillaient Mado et Raymond. Un soir que Thiam et Bathily étaient patraques, Mado leur a apporté une tisane, infusée avec amour. Ils étaient tout émus. Eux aussi l'appelaient Mama.