L’uniforme m’efface*, c’est pour ça que je le garde, même le soir ! Enfin, le soir, c’est ma femme qui me demande de le garder, juste les soirs où elle a envie, parce que mon uniforme l’excite. Alors je lui fais l’amour en « pilote de ligne », elle préfère mon uniforme à ma peau. Je pourrais refuser… mais non, je le garde.
Quand je le porte, on me remarque, les femmes surtout, même les plus belles. On me traite avec déférence, on me sert le premier et pourtant, comme le dirait ma femme quand je suis en civil : « Tu es d’un fade ! ».
L’uniforme me transforme, avec lui je suis plus vivant, plus intelligent, plus drôle, plus spirituel. Je fais même preuve d’initiative ! Toutes choses qui s’envolent quand je le retire. Comme le dirait ma femme quand elle perd patience : « Tu es d’un terne ! »
Parfois je me demande comment j’ai pu vivre sans uniforme. Enfant je n’existais pas. Ma mère se plaignait de mes longs silences, mais quand je me décidais à parler, elle me faisait taire. Etudiant, j’étais discret, timide, toujours prêt à m’effacer devant l’autre.
Ma femme dit comme ma mère : « On ne sait jamais ce que tu penses ! ».
Un jour, quand je n’aurai plus d’uniforme, je disparaîtrai. Où ? je ne sais pas, mais un pilote n’a plus besoin de carte après tant d’années d’expérience.
* phrase extraite du livre d’Edouard Levé, Suicide