Le nettoyage ethnique de la bande de Gaza me scandalise mais ne me surprend pas. Je suis de la génération sous les yeux de laquelle un demi-million d'Irakiens ont été éliminés par la diplomatie américaine ; ça ne s'est pas fait d'un seul coup, mais en quelques années.
Il faut dire "diplomatie", car les soldats formés à manier le fusil-mitrailleur et qui montent à l'assaut des Sarrasins en écoutant de la musique "métal" ne font qu'obéir à des diplomates en cols blancs.
Quand je dis "sous les yeux", je veux dire sous l'oeil de la caméra et les images de CNN retransmises avec une voix "off" pour vous expliquer quoi penser."Frappes chirurgicales" : les journalistes parlaient déjà couramment la langue pure, expurgée des lambeaux de chairs.
- Si tu n'aimes pas l'Occident, quitte-le !, me disait l'autre jour un type persuadé comme Philippe de Villiers d'être un rempart de la civilisation, ou quelque chose dans ce goût de carton-pâte. Impossible de quitter l'Occident, mon vieux, car le monde est entièrement occidentalisé, désormais. Le Français se confine comme le Chinois ou le Néo-Zélandais, et on a bien du mal à distinguer un flic russe d'un flic allemand ou iranien. Même le taliban, à force de penser, de respirer, de manger et de baiser contre l'Occident, finit par être occidental - une forme du syndrome de Stockholm, mâtinée de résilience.
Je me souviens, j'avais un ami d'enfance, à peine plus âgé que moi, qui commandait un char dans le désert. Il m'a raconté à son retour des choses, le genre que la télé ne montre pas. - C'était pas une guerre, les Irakiens ont les terminait à la grenade dans leurs trous après le passage des chasseurs. Une sommation, et puis "hop", un, deux, trois, grenade !
Si on montrait les choses aux foules sentimentales qui constituent la base des sociétés barbares, ça serait tout de suite beaucoup plus compliqué ; c'est le principe même du journalisme tel que l'a théorisé Goebbels, mais que l'Allemagne n'a pas eu le temps d'appliquer. Chaque fois que le Hamas publie une photo de gosse palestinien mutilé par une bombe, Israël doit répliquer en publiant une photo de femme israélienne violée. Le choc des photos est aussi important que, pour un soldat, d'embarquer avec lui le nombre de chargeurs nécessaire. Les réseaux sociaux ne doivent surtout pas fonctionner comme un moyen d'information.
D'abord, je voulais intituler ce billet : "De la Shoah à Gaza", mais ce serait la dernière des conneries d'incriminer Hitler et Nétanyahou, de les rendre seuls responsables de massacres dont la cause se situe en amont. C'est exactement la même chose que d'accuser les flics de violences policières et d'épargner les préfets donneurs d'ordre. La haine entre Israéliens et Arabes ne date pas d'aujourd'hui ; elle couve depuis longtemps. Donc en pointant du doigt Nétanyahou ou le Hamas, on oublie tous ceux qui les ont laissés monter en température.
Aucun des rares intellectuels occidentaux qui ont pensé contre la barbarie occidentale n'a fait ça - désigner un coupable. G. Orwell a pris une balle franquiste dans la gorge, et ça ne l'a pas rendu "antifa". Les communistes ont tenté de le liquider, mais ça ne l'a pas rendu anticommuniste.
Hannah Arendt a subi des pressions parce qu'elle ne désignait pas un coupable mais un système, consistant pour un haut fonctionnaire à obéir aveuglément aux ordres de l'Etat de droit (l'Etat totalitaire se présente toujours comme un "Etat de droit", jamais comme une junte ou une oligarchie). Elle a tenu bon.
Pour ramener la paix, la jeune génération devra être moins bestiale que celles qui l'ont précédée - ça ne devrait pas être bien difficile.