<< Poésie d'un jour
" ...vous vous guidez sur les arrêts du ciel
soucieux qu’il y ait du vrai dans vos mirages ..."
votre livre une braise
votre livre nous était le foyer, la table quotidienne,
un cercle inachevable sous la lampe ( sur la langue des
saveurs barbares, l’amertume d’une loi très ancienne)
au désert une braise impossible à la bouche, et goûtez
comme en brûlent patiemment les consonnes : tu
entends et tu trembles
fermer les yeux, nos deux mains s’agitaient dans la
marge, le vent nous en tournait les pages
veillée
on marquait le linteau, on bouchait comme on peut les
trous entre les planches, puis fermer et la porte et la table
dressée ( cet hôte qui s’annonce : les murs trembleront et
des dents vont grincer)
on ne sait pas ce qu’inaugure le soir : attendant ce
qui passe l’on reste debout, pieds chaussés, notre cœur
aux abois, ceinturé d’inquiétude, on mâche son pain de
hâte et de peur, on devine : le bâton pour la marche, nos
manteaux, un bassin sang et noir
et déjà votre seuil n’est plus ni maison ni foyer, mais la
halte, un bivouac à quitter
le désir du passeur
le séjour est précaire, son issue incertaine, on mange
ce qui vient à la main, de quoi passer le jour, et vous
n’avez à boire que rosée qui suinte
vous vous guidez sur les arrêts du ciel, vous fiez à un
nuage : il bouge vous bougez, il s’arrête vous vous arrêtez ;
s’il tonne vous tremblez, mais s’il venait à disparaître,
vous seriez tout à fait perdus
peuple quasi de bêtes, qui n’avez en guise de demeure
qu’une toile et vos peaux, pour foyer l’embrasement des
ronces, leurs quelques braises austères dans le sable
et vous marchez, soucieux qu’il y ait du vrai dans vos
mirages ( le désir du passeur ? priez qu’il n’ait été de tous
le plus trompé, partant le plus menteur)
Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond, « Désert » in Ce qui pousse la langue, Cheyne éditeur 2024, pp.67, 68, 70
Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond est un religieux dominicain qui réside
au couvent de => -La Tourette- un chef d'œuvre Architectural de le Corbusier