<<Poésie d'un jour
Je me souviens de fleurs placées puis oubliées entre les
pages d’un vieil annuaire. Des violettes et des pensées,
il me semble. Je les avais retrouvées par hasard, corolles
aplaties et feuilles empesées.
Il s’était donc un jour imposé de les soustraire à la
déperdition, à l’irrémédiable, tant leur perpétuation
avait paru désirable, et précieuse leur préservation.
La perte, la littérature la remplace par les mots, la
peinture par la représentation.
Pour ce que l’on nomme « nature morte », la dessicca-
tion des fleurs y renvoie davantage que par exemple les
pétulants bouquets des hollandais du Siècle d’or…
Les fleurs ne se sont pas absentées de l’atelier. Elles
continuent de séduire les peintres ; ils n’ont de cesse d’en
revisiter l’image. Ils en accentuent dès lors la symbolique
ou la tension. Energie, sensualité, principe de vie.
Les violettes de Manet ont quant à elles traversé
les siècles.
Celles de Monet, qu’il a peintes dans les mains de sa
femme Camille, n’ont pas un tel renom.
Quelques siècles auparavant, Durer avait consacré à
ces fleurs un bouquet remarquable. Et c’est aussi un
bouquet de violettes que Magritte en son temps vient
faire figurer en lieu et place d’un visage de femme…
Dénégation de l’éphémère
introduction de la fleur
dans l’ordre de la durée
la fleur pérenne
immuable
dépariée de sa saison
la fleur mentale
inscrite en nous
devenue icône
petit cœur battant
à jamais disponible
La violette, objet de recension, creuset du sensible,
source d’évocations, de souvenirs, cœur d’associations
et de correspondances.
De cet inventaire le bouquet de Manet fut la suscitation
initiale. Son bouquet flagrant, effusif.
Antoine Boisseau, Supplément à la violette, Poésie, 023, Librairie éditions Tituli , pp.28,29,30,31.
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Édouard Manet , 1872
Huile sur toile, 22 x 27
Collection particulière Ce tableau est un message d'amitié à Berthe Morisot. Il annonce les petites natures mortes de ses dernières années qu'il offrait souvent à ses proches. Ce tableau a été peint à la suite du portrait de Berthe Morisot qui porte à son corsage le même bouquet de violettes. L'éventail dont la tranche de laque rouge contraste avec le bleu tendre des fleurs est associé à presque tous les portraits de Berthe qui en joue même pour cacher son visage. Le rapprochement des trois objets : lettre, bouquet, éventail évoque le raffinement élégant et la distinction de Berthe Morisot.