Patricia Cottron-Daubigné / Parure pour un sein absent / Lecture de Marie-Hélène Prouteau

Publié le 13 décembre 2024 par Angèle Paoli

Patricia Cottron-Daubigné, Parure pour un sein absent,
Les Lieux-Dits, 2024
Lecture de Marie-Hélène Prouteau

Illustration de => Lili Sohn 

Le titre, à lui seul, laisse entrevoir l’inscription poétique d’une épreuve intime, hautement sensible, l’ablation d’un sein après un cancer, restituée par Patricia Cottron-Daubigné. Dans le droit fil de ses recueils antérieurs, elle écrit à sa façon, rebelle, ironique, irrespectueuse, transgressive. Toujours touchante mais jamais dans le pathos. Car, au-delà de la souffrance et de l’angoisse du cancer, il faut traverser cette expérience d’étrangeté qu’est la perte d’un sein. Éros et thanatos intimement mêlés.


Que devient-on, en effet, quand votre corps de femme se voit amputé d’un petit bout de chair d’une telle portée érotique ? Quand l’épreuve se centre sur « le corps en déroute », quand la lutte et l’énergie dépensée pour simplement réagir suscitent un questionnement sur l’image de soi. Et sur l’identité intime de son être. Quand, fait peu glorieux, l’autre, le compagnon aimant qu’on pouvait espérer solidaire, « est parti voir ailleurs sous des cieux plus profonds » ?


C’est dans une écriture de l’incarnation que la poète a choisi de loger son poème. Sur le mode quelque peu ironique du blason, ce genre poétique de la Renaissance, consacré à telle partie du corps féminin. Elle reconfigure à sa manière le « blason du beau tétin » de Clément Marot autour du sein absent. La poète décline ainsi une quarantaine de poèmes-blasons qu’elle détourne par antiphrase. Au sentiment de la perte se mêlent la peur, la colère, le sentiment du « désamour » dans le couple qui n’a pas résisté à une telle expérience.


La poète déploie un foisonnement d’images, de références empruntées l’une à Proust avec le « petit pan de mur jaune », l’autre à Mallarmé avec « l’absente de tout bouquet », à Brassens et Margot, à Homère pour un « Buste cyclope/au sein seul ». Ou bien à Beckett avec son « cap au pire », pour ne citer que quelques-unes des vingt-cinq poètes, peintres ou chanteurs présents ici. Le recueil prend ainsi la forme d’une sorte de rhapsodie poétique où Nougaro côtoie Vermeer ou Magritte et « La trahison des images » dans le vers « ceci est un sein ». Il s’agit de cerner au plus près, de montrer ce « sein qu’on ne saurait voir », de nommer ce sein malade, « corps qui s’en va déchet poubelle/ écartelé écorché », de retrouver l’image du « nénuphar » de L’Écume des jours. L’art de la poète-rhapsode est bien de coudre, recoudre les mots, comme le fit la main gantée « qui a cousu ma peau/le sein absent ». Là est le « toucher » du poème, tout de tendresse et de délicatesse.


Véritable mise à nu, expeausition, pourrait-on dire, de l’écriture, qui rend possible le dépassement du vécu douloureux. Mais il ne faut pas se fier à l’apparente légèreté de ton. Derrière celle-ci, il y a un travail subtil de décalage, d’écart, propre à l’écriture de la poète qui affectionne les vers brefs, heurtés, à la scansion inattendue. Et cultive les remuements et déplacements multiples et flottants du sens. C’est au cœur de ce travail sur la disparition/reconstruction que se source l’écriture qui va de l’inscription corporelle, charnelle à l’inscription textuelle :

je l’ai écrit
sur la chemise
bleue
matériaux pour le sein
les mots
pour reconstruire

Il y a dans cette Parure pour un sein absent un clin d’œil à la Pavane pour une infante défunte, présente à la fin du recueil. Superbement associée par la poète à l’océan, à un air de jazz qui fait à nouveau danser la vie. Voilà qui laisse entrevoir dans la dernière partie, « Femme dans le paysage », une portée de sublimation consolante que vient renforcer l’hommage poignant à ces anonymes qui l’ont soignée :

je m’incline devant vous
qui m’avez soignée
devant vous
qui m’avez protégée
j’abandonne le mot « défaite »
je vous offre ce matin
ma joie
forte et simple.

Le titre du dernier poème, « Réconciliation », marque le point d’orgue d’une renaissance au monde. Dans la joie et à la hauteur de l’humanité généreuse, bienveillante de la poète qui traverse ses recueils, tel Ceux du lointain qui revisite les errances des migrants à partir de l’Énéide.

■ Patricia Cottron-Daubigné
sur Terres de femmes ▼

Parure pour un sein absent, Les parallèles croisées, Les Lieux-Dits, 2024,
Femme broussaille, la très vivante, Les Lieux Dits éditions, Collection 2Rives, 2020,  Dessins de Mélissa Fries. Lecture de Gérard Cartier) 
→ Ceux du lointain (lecture d’AP)
→ [Je marche seul avec mon fils](extrait de Ceux du lointain)
→ Visage roman (lecture de Sylvie Fabre G.)

  MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU

Source
■ Marie-Hélène Prouteau
sur Terres de femmes
→La Vibration du monde, peintures d’Isthme (Isabelle Thomas-Loumeau), poèmes de Marie-Hélène Prouteau, éditions du Quatre, 2021, 
→ Chambre d’enfant gris tristesse
→ La croisière immobile
→ Le cœur est une place forte (lecture d’AP)
→ L’Enfant des vagues (lecture d’AP)
→ Nostalgie blanche. Livre d’artiste avec Michel Remaud
→ Voir Pont-Aven (extrait de Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible)
→ La Ville aux maisons qui penchent (lecture d’AP)
■ Voir aussi ▼
→ le site d’Isthme
■ Lectures de Marie-Hélène Prouteau
sur Terres de femmes ▼
→ Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
→ Jean-Claude Caër, Alaska
→ Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
→ Marie-Josée Christien, Affolement du sang
→ Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
→ Guénane, Atacama
→ Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
→ Denis Heudré, sèmes semés
→ Jacques Josse, Liscorno
→ Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
→ Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
→ Jean-François Mathé, Prendre et perdre
→ Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
→ Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
→ Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
→ Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
→ Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
→ Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
→ Dominique Sampiero, Chante-perce
→ Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
→ Ronny Someck, Le Piano ardent
→ Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
→ Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même
■ Voir encore ▼
→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Marie-Hélène Prouteau