Papa coeur grenadine

Publié le 02 septembre 2008 par Didier54 @Partages

Un deuil, oui, c’est ça. Je suis en deuil. Je le porte comme un boulet qui m’a coupé les pattes pendant quelques jours, petit à petit, et qui aujourd’hui m’a mis sous le nez sa sale tête. Disons qu’il me tient et que je le supporte, ce fumier. ON peut appeler ça cafard, mais ça me semble plus, comment dire, plus… profond. Plus ancré.

Je te regardais courir dans le jardin, ces derniers jours. J’adorais cela. Je te voyais faire le clown. Rire aux éclats. Bouder pour un rien. Colérer pour ceci. T’amuser de cela. C’était magnifique, vraiment. Je te regardais vivre avec l’œil pétillant du père en adoration devant sa petite tête blonde, et tu symbolisais pour moi tout ce que la vie a de beau. Tu étais l’insouciance incarnée, même avec ce plâtre qui a débarqué un samedi de courses. Ce plâtre dont tu te fiches comme de l’an quarante, au fond, rebondissant aussi sec sur cette satanée main gauche à canaliser. Oui, tu incarnait l’insouciance dans ce qu’elle a de magnifique, de grand, mais quelque chose en moi me serrait les tripes en même temps. L’œil pétillant pétillait double. Car moi, déjà, je pensais à cette saloperie de mardi 2 septembre 2008. A ce jour de rentrée scolaire. A ton entrée à l’école primaire. A la grande bascule. J’étais fasciné. Tu ne voyais rien venir. Tu ne doutais de rien. Et je voyais venir. Je me doutais de tant de choses. Je suis fier cependant d’avoir respecté ton état de grâce et d’avoir méprisé mon état de graisse.

Hier soir, j’étais moins gaillard et déjà tu dormais du sommeil du juste. Ton sac était prêt. Tu avais adoré les achats. J’avais en tête, moi, ce CP bascule. Mes sourires de connivence étaient fait des grimaces extorquées. Je suis con de penser ainsi, mais vois-tu, je suis resté sur le CP de ton frère, sur cette violence qu’on a ressentie, et lui avec, violence d’un passage entre la maternelle et la grande école, violence d’un passage brutal entre le pays des droits de l’enfant à celui des devoirs de l’enfant. J’ai pris en grippe l’école de mon pays, ce jour-là. Moi le fils d’enseignants. Je n’ai pas aimé. Du tout. C’est comme si soudain, la nation ne reconnaissait plus ses mômes, tout entière préoccupée parce qu’elle va en faire. Et ne pas en faire.

A l’époque, j’avais esquissé quelques larmes muettes, celles du ventre, me disant, ça y est, quelque chose se termine. Depuis, j’ai appris. Que c’est aussi autre chose qui commence et qu’il a son charme. Qu’il a son sens. Mais il n’empêche que le moment présent est dur pour moi, ton papa tout mou, guimauve ramollie. Peut-être, sans doute même, qu’il est plus dur pour moi que pour toi, ce moment, quoique tu as déjà pris une baffe en découvrant que tous ceux de ta classe d’avant n’étaient pas dans ta classe de maintenant. Ca me plaît, cependant, que ton frangin soit pas très loin de toi. Vous faîtes cour commune, désormais. Profitez-en. Dans un an, c’est lui qui bascule et découvre le collège.