<<Poésie d'un jour
" cette petite nuit sans envergure "
Carré noir de Kasimir Malevitch Source
la terre n’est pas ce que l’on croit
de la terre
quand on la retourne
motte des trois règnes
caillou blanc ombilic racines
entortillent le tout
inséparablement
et là-dedans moi
un paquet de quoi
de quoi suis-je inséparable
(partir au loin)
des morceaux de corps partout
dans le chignon serré de radicelles
où est l’animal et la pierre où est-elle
respir
un petit coup de bêche
soulève le crapaud
le cœur sous la peau blanche du printemps
accéléré
sa tendre peur, ô
la sentir glacée et sombre
-je n’ai pas voulu
ce que je crois d’elle retourne à la terre
ce n’est qu’un jardin d’herbes couchées
mouches et taons se reposent
pondre des milliers d’œufs
(perdre espoir)
des orties à taille humaine
dépassent le portique de cette mer vert clair
sentir que l’on ne fait plus partie du monde
juste une pierre souffrante
une pierre incarnée
si dure, elle ne s’arrête pas de frapper
(le merle poursuit la hulotte à midi)
vie pour vie
n’être qu’un corps flottant dans les herbes dures
on efface la violence d’un trait
barrée
(elle-même se soustrait)
amoindrie
plus proche d’une branche de février
du houpier d’un aulne
que d’un être humain
un cadavre d’oiseau desséché
brun foncé, les pattes raides
sous le chêne, derrière une touffe d’herbes
puis un autre, un autre encore
merle ou grive, étourneau peut-être
le pré sec, la terre dure, des oiseaux partout au sol
et seulement des femelles
des oiselles jonchent le sol
cadavres secs, tombés
des nuées de mouches au-dessus
c’est ce que je vois
mon œil placé entre le champ d’oiselles
et la nuée de mouches s’élevant à mon passage
par terre, les pieds
aplatissent les restes
ce que je vois, crois voir
d’un sort jeté
en même temps que la stridulation du grillon
le serein, la fraîcheur du serein
quelques notes à peine
les pieds dans l’herbe mouillée
entrés dans la maison, si on renverse
la boîte, ils seront mille à se faufiler
grignoter les miettes de corps
cette petite nuit sans envergure
le double menton d’un ange froid dans le ciel
une enfance sans bord
grillon
une herbe dans le trou
qui t’affole
Camille Loivier, « cycle de la terre » in Nature en décomposition, Backland éditions 2024,pp.72,73,74,75.
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CAMILLE LOIVIER
© Michel Durigneux
Source
Voir aussi sur :
→ II. « La langue des swifts » in Swifts, Éditions] Isabelle Sauvage 2021
→ Terres de femmes
→ France Culture
→ la MÉL
→ la Semaine de la poésie