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Les Elfes, la face noire d’une légende

Publié le 22 décembre 2024 par Scriiipt
Elfes, face noire d’une légende

En même temps que le monde embrassait l'idée d'un gros barbu faisant pleuvoir les cadeaux le temps d'une seule nuit, un véritable défi logique s'ajouta pour les parents et les exégètes du dit gros barbu : comment, à lui seul, créait-il une telle profusion matérielle ? On était loin de l'orange de jadis !

La Corne d'abondance ayant été depuis longtemps reléguée parmi les vieilleries antiques, on recruta une main-d'œuvre magique et hautement qualifiée, que les légendes modernes avaient fort à propos engendrée : les Elfes, créatures libérées de toute contrainte hormis celle de la loyauté, avec à leur tête l'image de Rumplestilskin l'artisan.

C'est ainsi que les figures millénaires et inquiétantes du peuple elfique furent peu ou prou domestiquées et édulcorées... mais le sont-elles vraiment ? Que reste-t-il encore des royaumes invisibles de jadis ?

Étymologie et rôles au cours des siècles

Le mot " Elfe " dérive d'un ancien terme indo-européens qui, sous des formes en alf, elf et alb, a donné le mot " blanc " dans de nombreuses langues. Ils se distinguent des autres êtres surnaturels (satyres, nymphes etc.) par un aspect et des activités relativement humains, tout en gardant un physique à l'origine bien plus noble (symbolisé par le blanc de leur peau, de leurs cheveux etc.).

En gros, les Elfes, quel que soit leur aspect, sont passés par les phases suivantes :

  1. Du temps des anciens peuples scandinaves et germaniques, ils forment une classe de créatures subordonnées aux dieux, même si certains égalent parfois les plus forts, et que des dieux peuvent leur être associés (Freya règne sur le royaume des Alfes).
  2. Lorsque ces mêmes peuples, entre les Vème et Xème siècles, s'emparent de l'Europe, la christianisation les sépare du divin et fait d'eux une variante bénigne du démon, toujours prête à persécuter un chrétien ; cet aspect perdurera longtemps sous la forme de contes édifiants, destinés à enseigner les bonnes conduites.
  3. A l'époque féodale, la relative stagnation sociale amène les Elfes (et fées) à jouer le rôle d'une aide providentielle pour qui veut s'élever : les fées du cycle arthurien protègent les chevaliers, Mélusine élève la puissance des Lusignan, d'autres êtres moins connus aident des paysans à faire un beau mariage, à se venger ou simplement à survivre. A l'inverse, certaines Elfes procèdent à des substitutions de changelins, ou à l'enlèvement de leurs propres enfants issus de mortels, ce qui terrorise des communautés où la filiation exempte de toute doute, est un pilier de la transmission.
Elfes, face noire d’une légende
  • A partir de la Renaissance, la classe des chevaliers décline relativement, et celles des marchands ou des clercs d'Etat se développent. Les Elfes deviennent plus petits, plus discrets, et ils ont pour rôle d'appuyer la prospérité d'un héros - ou au contraire, de le punir pour ses manquements. Rumplestiltskin/Tracassin aide ainsi les jeunes gens ou les artisans vertueux à se créer des sources de richesse, tout en se payant lui-même en proportion. A son stade ultime, cette évolution conduira à confondre Elfes et Lutins du Père Noël, deux classes d'êtres à l'origine fort différents.
  • Parallèlement, à la fin du XVIIIème siècle, le succès des Contes d'Ossian (recueil des dits d'un druide imaginaire) et plus tard des romans de Tolkien, engendre toute une littérature du merveilleux où les Elfes sont la vision idéalisée d'un passé opposé à un monde tragique et industriel.

Ces grandes phases n'ont jamais empêché des mélanges ainsi que la résurgence de thème plus anciens. Ainsi les Elfes industrieux deviendront-ils ceux du Père Noël au moment où ce dernier aura besoin de leur aide.

L'aspect exact des Elfes varie grandement. Au temps des Vikings ce sont en général des seigneurs de lumière ou de ténèbres, aussi impétueux et rusés que Thor ou Loki. Au Moyen Age, ces mêmes seigneurs (souvent des femmes) sont fort semblables à leurs équivalents mortels, à l'exception d'enchantements et prodiges, mais souvent avec un défaut masqué. Plus le temps passe, cependant, plus les Elfes vont rapetisser afin d'expliquer notre incapacité à trouver leurs traces et inversement, leur habileté à pénétrer dans les bâtiments humains.

Les moyens d'action des Elfes

Du fait de leur détachement du monde, les Elfes ont en partie le droit de choisir où, avec qui et comment ils interagissent. Invisibilité, transformation, envol, petitesse, désorientation, harcèlement, sont leurs armes pour éviter les humains indésirables.

Lorsqu'un Elfe décide d'interagir, cependant, alors des règles très précises s'appliquent. Les Elfes ont toujours été le miroir des hommes ; à leur sottise, à leur tromperie, à leur avidité, ils opposent l'astuce, la fidélité, les leçons durement enseignées. Un serment est pour eux crucial (on dit souvent qu'ils périraient s'ils le rompaient). A l'inverse, si le mortel rompt le serment en premier, il est alors exposé à toutes sortes de vengeances.

Dans le cadre de ces règles, alors les Elfes peuvent appliquer leur magie. Très souvent, il faut d'abord qu'un pacte soit conclu pour que l'Elfe puisse déployer sa puissance.

Les Elfes sont souvent reliés à des codes moraux plus anciens que les nôtres. Des péchés tels que la colère, le fait de montrer les chevilles ou l'oubli d'une règle d'hospitalité, nous paraissent aujourd'hui bien véniels ; mais au Moyen Age, les règles rigides de la féodalité ou de l'hospitalité interdisaient beaucoup de ces comportements. Dans un monde où le Malin et la violence sont partout, il est normal d'exiger une absolue courtoisie !

Dans l'imaginaire (hors Elfes de Tolkien)

En jdr, il est important que le meneur (ou l'auteur dans un roman) encadre précisément ce que les Elfes ont le droit de dire, de faire et de punir. En effet, au monde mouvant et traître des mortels, les Elfes opposent leur univers parfaitement réglé ; ils ne sont pas comme les lutins ou les pixies qui peuvent, eux, déchaîner leurs caprices.

De même si plusieurs Elfes coexistent dans une aventure, leurs relations peuvent grandement enrichir le jeu. Pour prendre un exemple, dans Château Falkenstein ou dans Elfquest, Nains et Elfes sont deux faces d'une même race. Si un humain les rencontre, il sera pour lui important de comprendre leurs antécédents et leurs relations actuelles.

Exaltés met en scène des Elfes (entre autres) dont la relation avec les mortels est fort bien établie. Les Elfes se nourrissent des émotions, vertus et rêves des humains, ce qui suppose que ces derniers restent non loin, et donc que les Elfes les lient à eux par la prospérité, la terreur ou le plaisir.

Sur Reddit, une liste de discussion " Humans are space orcs " que vous pouvez lire avec profit, a imaginé dans l'une de ses itérations que les humains étaient la plus petite race intelligente de l'univers. Cela leur permet de se glisser à bord des navires de leurs voisins titanesques... et d'y agir en qualité d'Elfes domestiques, capables d'accéder aux plus petites pannes, de procéder aux plus petites tâches, ou d'infliger d'horripilants petits sabotages si on les néglige !

Si votre univers fantastique ne comporte pas déjà des Elfes, vous pouvez probablement imaginer un moyen d'ajouter une peuplade invisible et au code d'action rigide. Elle pourra servir de ressort scénaristique, de deus ex machina ou d'antagoniste exaspérant.

Suggestions

  • Le Père Noël existe-t-il ? Ou bien sont-ce uniquement des Elfes qui assurent tout, de la fabrication à la distribution ? Derrière l'épouvantail du Grand Barbu, ils disséminent des objets enchantés et des pactes dissimulés. Quel est leur objectif ? Se repaître des rêves enfantins, ou préparer la conquête de tous les esprits humains à mesure que, génération après génération, de plus en plus de sociétés adoptent les codes de la consommation occidentale ?
  • Un Elfe est-il tenu d'assumer une seule forme ? Des confusions postérieures aux sagas ont fait des Elfes et des Trolls les mêmes créatures, seulement différenciées par leur émotion dominante. Château Falkenstein pousse le concept très loin avec ses familles mêlées, mais on peut imaginer pire encore : un noble Elfe offensé peut-il se changer en un colosse ravageur ?
  • Les Elfes sont-ils satisfaits de leur popularité actuelle au moment des fêtes ? Peut-être au contraire les empêche-t-elle de passer inaperçus dans leurs menées, en cette période si propice du Solstice. Ou bien trouvent-ils les œuvres actuelles humiliantes, par exemple avec la tête que se paie Dobby dans Harry Potter dans chaque paquet-cadeau ? Dans ce cas, leur vengeance pourrait bien un jour frapper tel ou tel artisan de l'imaginaire ou bien un innocent consommateur !
  • Même dans notre monde moderne et hostile, les Elfes sont-ils soudés face aux humains ? Deux Elfes peuvent parfaitement décider, l'un d'aider une famille humaine ou un foyer de jeunes gens du fait d'une promesse passée ; l'autre, de nuire à ce même groupe par pur esprit de contradiction ou pour humilier son rival.
  • Les Elfes du Père Noël (ou non) sont-ils toujours si soigneux que cela ? Un instant de distraction peut-il les mener à laisser dans un cadeau, une trace de magie incontrôlable voire néfaste ? Pour les humains qui en hériteront, sera-t-il facile, compliqué, ou impossible de neutraliser le problème ? Et si au lieu de magie, il s'agissait d'un appel au secours (cf. l'article sur les esclaves modernes) ?
  • Comment les Elfes accueillent-ils la modernité ? Vont-ils, comme ceux d'Asimov dans Des Histoires pour gosses, se refermer sur eux-mêmes et ruminer des plans de vengeance ? Ou bien comme ceux de Shadowrun, vont-ils se jeter dans l'exploitation des nouveaux procédés et les marier à leurs dons ? Ont-ils pour cela, besoin de l'aide (humiliante) d'intermédiaires humains ?
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