<< Poésie d'un jour
… ta maison pleine d’insomnies t’empêche de tout déposer dans
un ordre chronologique. Tu veux vider la chambre, comme après
un décès, espérant libérer l’enfermement. En montant l’escalier du
grenier sans murs, efface les bruits de la ville, ouvre la porte et
souviens-toi. Ici c’est toujours au bord.
… tu travailles à ouvrir l’ouest à l’angle d’une page froissée.
Dedans, le mal endort l’astre solaire, la lune nage avec la peur de
trouver la nuit. En même temps que les lucioles, les traces de pas
s’effacent dans le sable. Le silence s’impose. Il reste pourtant les
non-dits.
… sous la peau, le silence est surhumain. La puissance de l’ombre
revient s’appuyer sur tes paupières, t’oblige à baisser le regard.
Tu veux habiter nulle part mais au centre. Si tu baisses le regard,
tu achèves le lieu.
… une image sépia, et le réel dégringole. Tu as coupé le son du
monde pour mieux voir. Retiens ton souffle, ne contrarie pas le
temps. Au fond d’un courant d’air, l’enfance exhumée.
… épluchures de mots, gestes maladroits, bout de cœur fossilisé,
tu te regardes grandir. En filigrane, un jardin d’enfants brouille les
pistes. Au milieu des autres, aucune joie-allumette, secondes
éparpillées. Dans la photo du cadre bien droit, personne n’entend ;
de sa bouche fissurée, l’enfant demande : « Qu’est-ce qu’il y a
derrière le ciel ? » L’heure s’est arrêtée, le monde est devenu blanc.
… passe de l’autre côté, rejoins l’innocence égarée, avant la peur
du retour au « je ». Approche cette dentelle douce et délicate.
L’immensité la terrorise. Un souffle et tout bascule. Ajuste l’issue,
lave sa peau. Doucement. Aide-la à relever la tête, à se réhydrater
de ton encre. Sous le stylo, comme une voix sortie de toi, l’enfant
de papier libère les fibres d’un murmure. À peine…
dis-leur
Rabia, … déplacer les seuils, Poésie, Photographie©Marie-Pierre Forrat, ©Éditions Musimot 2024, pp.14, 15,16 ,17 ,18 ,19.