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Claudie Hunzinger → Wikipédia
61 (extrait)
Tout à coup j’ai répété à haute voix : Comme dans une niche.
Est-ce que c’était d’avoir un chien à ma table ? En tout cas , ça m’était tombé dessus qu’on n’écrit pas pour les autres, ni pour la postérité, ni contre la mort, ni face à l’éternité, ni pour la beauté du geste, ni pour dire la perte qui nous signe, non, tout simplement on écrit parce qu’on est squattés par le langage. Ça m’a semblé une évidence et rien de glorieux. J’ai pensé, on n’est rien d’autre qu’une niche. Une niche à chien. Et ce chien, qui n’est pas moi, qui en moi néanmoins n’arrête pas de parler, s’appelle Logos. C’est lui qui parle sous mes mots et il n’y a rien à faire contre lui. Il règne. C’est biblique. Est-ce qu’il y a quelque chose à faire contre celui qui monologue sous les mots ? Qui nous utilise ? Nous domestique ? Contre celui qui ne parle que pour parler ? Contre sa logorrhée ? Est-ce qu’on peut être autre chose que la niche du langage qui soliloque en nous sous les mots ?
Personne n’a de réponse à ça.
En même temps, même si cette fonction de niche m’aurait assez plu, j’ai deviné qu’il aurait suffi de filer par la porte ouverte pour échapper au Logos. Cela aurait été vite fait d’aller vers les marges, les limites, les confins herbeux ; de rejoindre le lieu où tout se transforme, sicut palea, balle d’avoine, pollens des pollens, poussières de poussières, nuées de nuées. Vite fait de me mélanger aux renards, chauves-souris, pangolins ; aux mufles, ailes, oreilles dressées ; au velours, à la soie sauvage ; aux cinq sens, aux essences des arbres, à leurs sèves, à leurs effluves, à leur âcreté ; et vite fait de ne plus parler qu’en babils, chuchotis, grognements, ricanements, chants, chamarrures et grimaces ; d’écrire en herbes, en prés et tout leur préverbal.
Mais on m’avait à l’œil.
Yes sursautait si j’attrapais mes Buffalo à superpouvoir et plate-forme, capables de m’entrainer trop loin de ma table, celle de l’écri-vaine. Il n’était pas question que je la quitte. Ma place maintenant était là. Pas ailleurs.
Claudie Hunzinger, Un chien à ma table, Éditions Grasset & Fasquelle, 2022, pp.279-280.