On attendait Gustav. Une ligne noire sur l’horizon, des rouleaux d’écume sur le sable jaune.
La mer, toujours turquoise.
On a fermé les fenêtres, verouillé les portes, rangé les papiers, l’argent, ce qui craignait l’eau,
le vent, tout ce qu’on serait content de retrouver intact quand la tempête serait passée.
Quand on a eu fini de vider, de mettre en hauteur, quand on a été prêts, on s’est
assis en ligne,
côte à côte, face à la mer et l’attente a commencé.
Au
fond, on avait tous envie de voir ce que ça pouvait donner la gran tourmenta,
le monde qui
s’envole, notre hôtel sous les eaux. Moi, je fixais les
touristes de l’oncle Sam, à leur fenêtre,
sur leur balcon, contemplant un problème que leurs dollars ne pouvaient pas régler. Une semaine
de
vacances, deux, tout un programme noyé. J’avais envie que
Gustav prenne son temps et que
ces rois du monde, pleins de désespoir
se mettent à sacrifier leurs billets, leurs fierté et leurs
vierges à
l’océan. Surtout j’attendais les vierges. Pour l’esthétisme.
Avec
l’attente est venu l’ennui. L’ennui imperceptible mais pire que le
mauvais temps. D’abord
c’est les filles qui ce sont disputées pour un
garcon qui n’était pas moi, pour une bêtise,
ce n’était pas moi.
Benjamin tournait en rond. C’etait mon dernier jour de boulot. Pour
rire Mike
m’as bousculé. J’ai dû dire Don’t do it again, mais sans rire. Il a recommencé, alors je l’ai
frappé, droit, sous l’oeil. Une frappe de boxeur
a dit Vince. J’ai frappé Mike, mon colocataire,
fort, à m’en faire mal
au poing, à le faire saigner. C'était con. Il est tombé sur le dos. Ca
m’a fait
du bien, sur le coup. Je n’ai pas supporté les
regards. Je n’ai pas fini ma dernière journee, j’ai pris
mon sac, je
suis parti.
Sans
argent, j’ai dû marcher, sur mes semelles en plastique, sur le
bas-côté, sous le soleil
blombé. Face au trafic, pour voir les voitures
arriver. Chevrolet, Ford, de gros camions chromés,
comme dans un film
j’ai pensé. J’ai suivi la route, lentement. Il faisait épouvantablement
chaud,
le Mexique est un pays brûlant. Une demi-heure, trente sept
degrés, la peau sèche, déshydratée,
j’ai commencé à monologuer Agua, agua, quelques pas sur la ligne jaune et puis encore, à voix
haute, Agua, agua. Pas de boutique, pas d’Oxxo.
Sur les autoroutes du monde entier, il n’y a rien d’autre que des chauffeurs qui ne s’arrêtent pas.
Je
suis trop vieux pour voir des formes dans le ciel. Je vois des masses
blanche et n’y recconais
que l’évidence plate du phénomène climatique.
Les nuages.
Quand même après deux heures, le nez en l’air, Lonely Soul d’Unkle
dans la tête, sûr de mourir,
j’ai eu un reflexe humain, j’ai pensé à
Dieu. Sans rien de concret, simplement déçu de ne pas
y croire. Je me
suis demandé si lui croyait en moi mais ça m’as paru difficille vu que,
bien sûr,
il n’existait pas.
Sur la question religieuse, j’ai conclu rapidement. Je m’en foutais, j’avais soif. Agua, agua,
le ciel est devenu noir. Agua, agua, un coup de tonnerre. Je me suis arrêté. J’ai levé la tête.
Dieu ? Mais c’était pas Dieu, c’était Gustav.
Sous
les tropiques, il n’y a pas de début de pluie, de premières gouttes.
Si proche de
l’équateur, il n’y a pas de goutte, juste une tonne d’eau
qui rejoint la terre dans un torrent
vertical. Un instant, j’étais
trempé, les yeux et la bouche remplis de pluie tiède, et même tiède,
j’ai vite eu froid. Des kilomètres de route ont fondu dans le
brouillard gris, la Riveria Maya
disparu derrière un mur aquatique, le vacarne urbain étouffé sous le bruit sec du tonnerre,
le sifflement du vent.
Mécaniquement,
sans alternative raisonnable, je me suis remis à marcher, trébuchant
dans
les flaques longeant la route invisible. Plus de Ford, plus de
Chevrolet. Des rangées de phares,
de lumières flottantes et le souffle
violent des camions m’écartant de la chaussée. Le sol était
glissant.
J’ai retiré mes chaussures, les ai gardées à la main sur une dizaine de
mètres puis
jetées. J’étais sûr d’être encore loin, il m’a semblé plus
logique de marcher pieds nus.
Sans trop savoir pourquoi, j’ai aussi
pensé que, comme ça, j’irais plus vite si je devais courir.